Actualités des enseignants Archive

« Découvrir » l’impossible sur la pauvreté

Présentation du séminaire co-organisé par Daniel Terrolle, maître de conférences au département de sociologie de l’université Paris 8 : « Découvrir » l’impossible sur la pauvreté : zones frontières et nouveaux enjeux de recherche, qui aura lieu à partir de février 2007.

Ce séminaire ayant pour objet la « pauvreté extrême » ou « les plus dominés » vise à favoriser un échange aussi libre et large que possible, sur les cadres théoriques, les méthodologies, les présupposés « scientifiques », et les expériences vécues du terrain ; mais il entend aussi constituer un espace de liberté afin d’objectiver les contraintes qui pèsent sur les chercheurs : respect des personnes « cassées » (gestion des outils de recherches afin de limiter le voyeurisme et le regard intrusif) et protection de leur vie contre les risques de dérapages (demandes policières), stratégies institutionnelles de dénonciation lorsqu’ils tentent de mettre en lumière les logiques de pouvoir s’exerçant tant sur les « pauvres » que sur eux-mêmes, ou lorsqu’ils rendent compte des mécanismes de production des espaces d’accueil et d’action humanitaire. Ce ne sont là que quelques exemples qui indiquent que les études sur la pauvreté posent question dans un univers traversé par des enjeux sensibles.
Programme du séminaire au format PDF

Crises et politiques du logement

Claire Lévy-Vroelant, professeure de sociologie à l’université Paris 8, participera au colloque franco-britannique « Crises et politiques du logement en France et au Royaume-Uni » les 15 et 16 décembre 2006. Son intervention a pour titre « Quelle mise en œuvre du « droit au logement »? Enseignements d’une approche historique ». Le programme du colloque se trouve sur http://crec2006conference.ouvaton.org/.

Un sociologue à la télé : T. Sauvadet

Thomas Sauvadet, sociologue et docteur de l’université Paris 8, était l’un des invités de l’émission « Face à Alain Minc » diffusé sur la chaîne Direct8, samedi 4 novembre 2006, en raison de la sortie de son livre Jeunes dangereux, jeunes en danger, comprendre les violences urbaines (éditions Dilecta, 2006).
Ci-dessous, un extrait de l’émission.
Thomas Sauvadet
Thomas Sauvadet, dans l’émission « Face à Alain Minc », novembre 2006 (format Quicktime)

T. Sauvadet était aussi présent dans un reportage de l’émission « C dans l’air », lundi 6 novembre 2006 (sur France5, 18h)
logo c dans l airT. Sauvadet C dans l air
lien vers le reportage de « C dans l’air » (format Quicktime)

Thomas Sauvadet était sur le plateau de l’émission « Mots Croisés », lundi 6 novembre 2006, 22h30, sur France2 :
logo mots croises yves calvi france2T. Sauvadet France2
Extrait de l’émission au format Quicktime (.mov)

Enfin, il a participé à l’émission « Bouge la France ! » sur la chaîne Public Sénat, le lundi 13 novembre, 22h30 :
logo public senatSauvadet public senat bouge la france
Extrait de l’émission « Bouge la France », format Quicktime (.mov)

Thomas Sauvadet est un jeune sociologue français, ancien enseignant au département de sociologie de l’université Paris VIII (jusqu’en 2006). Après avoir réalisé une thèse de sociologie sous la direction de Michel Joubert, il est actuellement co-responsable d’une étude quantitative et qualitative longitudinale sur les conduites à risque des 13/25 ans [Mission de prévention des risques du Conseil Général de la Seine-Saint-Denis]. Il est l’auteur de nombreux articles et de deux ouvrages : Jeunes en danger, jeunes dangeureux. Comprendre les violences urbaines, aux éditions Dilecta, et Le Capital guerrier : Solidarité et concurrence entre jeunes de cité, aux éditions Armand Colin.

Deux livres et une télé de Thomas Sauvadet

direct8Thomas Sauvadet a soutenu sa thèse de sociologie à l’université Paris 8 en 2004, et a enseigné au département de sociologie jusqu’en 2006. Il sera, samedi 4 novembre 2006, 18h-19h, invité dans l’émission « Face à Alain Minc », sur Direct8. Thomas Sauvadet publie ces jours-ci deux ouvrages :

  • Jeunes dangereux, Jeunes en danger. Comprendre les violences urbaines, aux éditions Dilecta (sortie le 27 octobre 2006)
    Pour comprendre comment naissent les « sauvageons » d’aujourd’hui, il faut d’abord étudier leurs ancêtres, puis s’intéresser au désarroi qui affecte le milieu populaire depuis 1980 (précarisations socio-économiques, dépolitisation, divisions internes…). À partir de ce cadre d’analyse, il est possible de saisir et de décrypter un processus de ghettoïsation.
    Dès qu’une « cité » s’enflamme, médias et hommes politiques avancent dans l’urgence des remèdes de circonstance. Prenons le temps de réfléchir à cette question fondamentale : comment naissent les « sauvageons » d’aujourd’hui ? Pour le comprendre, il faut évoquer leurs ancêtres (« apaches » et autres « loubards ») et s’intéresser au désarroi économique, culturel et social qui affecte le milieu populaire depuis 1980. « Tolérance zéro », « rénovation urbaine », etc., les politiques élaborées ne résolvent pas plus le processus de ghettoïsation en cours qu’elles ne brisent ce cercle vicieux : concentration de la pauvreté dans les cités, délinquance, stigmatisation globale de la population des cités désertées par les moins pauvres des pauvres. Aucune mesure, « généreuse » comme la discrimination positive ou au contraire « répressive », n’empêchera les émeutes tant qu’on ne s’attaquera pas à ce paradoxe : notre société vante la consommation à tout crin mais en prive d’accès légal ses enfants des cités, contraints à la précarité du jour le jour.
    Le magazine L’Express en parle.
    Thomas Sauvadet présente ce livre sur France Culture (4 minutes, MP3)
  • Le Capital guerrier : Solidarité et concurrence entre jeunes de cité, aux éditions Armand Colin (dans la collection « Sociétales » dirigée par François de Singly) (sortie le 9 novembre 2006)
    Capital guerrier SauvadetGrande cause morale et sociale du moment, ou épouvantail national… Il est plus facile de plaquer sur les « jeunes de cités » tel ou tel schéma que d’aller à la rencontre de leur altérité pour croiser, soutenir et décrypter leur regard. On les voudrait « agis », par d’autres ou par leur « inculture » propre. Ils agissent en fait selon les contraintes d’un environnement créé par notre société. Avant de dire qui ils sont (« racaille », etc.), il faut comprendre comment ils fonctionnent et se gouvernent. C’est la démarche du présent livre, travail d’un jeune sociologue. Ce dernier a longtemps côtoyé l’univers de la rue et l’analyse sans mépris ni empathie forcée. Sur la base d’une passionnante enquête de terrain, il rend compte du processus qui, à partir de la déstructuration sociale et des abandons républicains des années 1980, a mené à la constitution de groupes marchant au « capital guerrier » : mélange de force physique, de dispositions psychologiques et de réseaux relationnels qui assure une aptitude au combat et passe facilement du système de défense à l’outil de persécution. Cette approche restitue à « la rue », l’espace du pauvre, son caractère hautement concurrentiel. À l’opposé de l’antienne des « violences gratuites », elle s’intéresse à la rentabilité symbolique et matérielle des comportements violents. Rien de plus ambivalent et atypique dans le fade contexte français contemporain que cette cristallisation d’énergie, rien de plus triste que la manière dont on s’entend à la dévaluer plutôt qu’à la canaliser et à l’intégrer positivement dans le social.

Sur le net :
C’est la « vie de rue » qui est plus violente, T. Sauvadet, L’Humanité, 28 octobre 2006
Entretien avec T. Sauvadet;
Résumé d’une conférence de T. Sauvadet;
Pour en savoir plus sur Thomas Sauvadet (articles, thèse, interviews).
Quatrieme de couverture - Thomas Sauvadet - Dilecta

Professeur invité : Christoph Reinprecht

Notre collègue autrichien Christoph Reinprecht vient de l’Institut de sociologie de l’université de Vienne. Il sera à Paris 8 la semaine du 6 au 10 novembre 2006 et donnera des heures d’enseignement en premier cycle et en master. Pour ceux (étudiants ou enseignants) qui voudraient le joindre ou le rencontrer, le mieux est d’écrire à Claire Lévy-Vroelant.
Parmi les travaux de C. Reinprecht, deux articles sur internet : Jewish Identity in Postwar Austria: Experiences and Dilemmas [PDF], ou encore Social Memory in the transformational process of east-central Europe

Un article de Charles Soulié dans L’Humanité

Charles Soulié, maître de conférences au département de sociologie de l’université Paris VIII a publié le 7 octobre 2006 un article dans le quotidien L’Humanité.
Y a-t-il trop d’étudiants à l’université ? « Un problème d’ordre idéologique »
par Charles Soulié, sociologue.
(L’humanité, 7 octobre 2006.
À question simple, réponse complexe et nuancée… Et de fait l’enseigne-ment supérieur et l’université répondent à des missions très différentes. Car en plus de préparer les étudiants à un emploi, l’université leur offre une formation générale, les initie à la recherche, contribue à l’élévation générale du niveau des connaissances et par là à la formation de citoyens plus éclairés. Ou comme il est écrit sur le fronton de l’université de Freiburg in Breisgau : « La vérité vous rendra libre. »

À la pluralité des fonctions remplies par l’université s’ajoute le fait que, loin de former un univers homogène, l’université est un microcosme hautement différencié et hiérarchisé, chaque faculté, discipline connaissant des évolutions démographiques différentes. Ainsi aujourd’hui les sciences connaissent une baisse de leurs effectifs (visible aussi dans toute l’Europe) aboutissant in fine à la désertification de certains laboratoires scientifiques. D’où l’idée de réinventer les IPES, c’est-à-dire un système permettant de salarier les étudiants se destinant à une carrière scientifique. Cette désaffection vis-à-vis des sciences pose notamment le problème de l’articulation entre enseignement secondaire et supérieur et donc de l’orientation des étudiants. En effet, ne recueille-t-on pas alors un des effets de la sélection par les mathématiques dans l’enseignement secondaire ?

L’idée qu’il y ait trop d’étudiants en médecine, ou dans les grandes écoles est peu répandue, voire même franchement cocasse ! Il en est de même pour le droit ou les sciences économiques et de gestion, qui sont rarement critiqués sur ce point. Pourtant, ces quinze dernières années, les effectifs étudiants ont beaucoup plus augmenté en économie gestion, qu’en sciences, droit ou lettres, ce qui a favorisé sans doute la montée de « l’esprit gestionnaire » dans le monde social. En fait, ce qui pose problème à certains commentateurs, ce sont les disciplines de lettres et sciences humaines. Il s’agit donc d’un malthusianisme très sélectif. Or, et si l’on examine déjà les choses au niveau de la professionnalisation, leur bilan n’est pas si mauvais. En effet, posséder un diplôme, fût-il de lettres et sciences humaines favorise toujours celui qui veut accéder à un emploi. Par ailleurs, on sait que le débouché principal de ces disciplines est le secteur public, lequel devrait notablement augmenter ses recrutements à la faveur des départs massifs à la retraite.

En fait, on peut se demander si ici le problème n’est pas davantage d’ordre idéologique ou politique. En effet, on sait qu’à la faveur de la seconde massification, l’université française s’est un peu plus ouverte aux enfants d’origine populaire. Lesquels sont plus nombreux en lettres qu’en médecine, par exemple. Ainsi en 2002-2003, le taux d’étudiants dont les parents sont cadres supérieurs ou professions libérales passait de 49,6 % en classes préparatoires aux grandes écoles, à 45,1 % en médecine, 37,4 % en droit, 35,4 % en sciences, 29,9 % en économie et 27,4 % en lettres. Ce sont donc les disciplines de lettres et sciences humaines qui, avec les IUT, STS, ont le recrutement le plus populaire. De même, on note qu’elles ont été particulièrement en pointe lors de la mobilisation contre le CPE. Ce qui conduit alors à s’interroger sur les fondements politiques des critiques qui leur sont rituellement adressées. Et si l’on rappelle que pour leurs débouchés, ces disciplines sont principalement orientées vers le secteur public, on comprend mieux pourquoi elles sont régulièrement la cible des commentateurs d’inspiration libérale, qui généralement ne les ont pas fréquentées et ne les connaissent que par ouï-dire.

Article paru dans l’édition du 7 octobre 2006.

La France invisible

La France invisibleClaire Cossée, qui a effectué sa thèse à l’université Paris 8, Jean-François Laé, professeur de sociologie, et Claire-Lévy-Vroelant, professeure de sociologie, ont participé à l’ouvrage collectif, La France invisible. Jean-François Laé signe un article, « Borderline, à la frontière du médical et du social ». Claire Lévy-Vroelant y est interrogée sur le logement insalubre : « À travers une cause noble, la lutte contre le taudis, on organise un lissage de la ville. », et Claire Cossée sur « l’ethnicisation du politique ».

La France invisible, Stéphane Beaud, Joseph Confavreux, Jade Lindgaard (dir.), Éditions La Découverte
En librairie le 12 octobre 2006
Livre d’enquêtes et de récits de vie recueillis par des journalistes et des chercheurs qui ont fait le pari d’une collaboration inédite, La France invisible est un ouvrage d’interpellation à l’adresse des responsables politiques, des médias, des commentateurs de la société française. En interrogeant leurs pratiques et leurs discours – où le point de vue des « leaders d’opinion » compte plus que la connaissance des réalités concrètes –, il dévoile les mécanismes d’invisibilisation qui masquent la réalité et la violence d’un pays en état d’urgence sociale.
Ce livre propose une autre voie que la déploration « décliniste », l’inquiétude sécuritaire, la rage verbale incantatoire ou le refoulement souriant. Il constitue un dispositif d’urgence, pour une situation d’urgence sociale, dans le but de proposer d’autres grilles de lecture à un pays qui donne l’impression de ne plus savoir ce qu’il est, tout en se croyant transparent à lui-même. Face au sentiment que le corps social se défait, il tente d’en comprendre les raisons.

Pour aller plus loin :

Nouvelles de rentrée

Le département de sociologie est très heureux d’accueillir, cette rentrée, Delphine Gardey, qui a été recrutée comme maître de conférences. Spécialiste des études de genre, elle est aujourd’hui — comme historienne et sociologue — principalement intéressée par l’analyse des relations femmes/sciences/techniques.
Barbara Casciarri, anthropologue au département de sociologie de l’université Paris 8, sera, cette année, en délégation de recherche au Soudan, à l’antenne de Kartoum du Centre d’Etudes et de Documentation Economiques, Juridiques et Sociales, le CEDEJ, situé au Caire (Egypte).
Tiphaine Barthélémy, maître de conférence en anthropologie au département de sociologie, soutiendra le 6 Octobre 2006, à 14 heures, une Habilitation à Diriger des Recherches en anthropologie, intitulée : Héritage, égalité, hiérarchie sociale. Transmissions patrimoniales dans la paysannerie, la noblesse et la bourgeoisie aux XIXème et XXème siècles, devant un jury composé de Georges Augustins, Professeur à l’Université Paris X ; Claude-Isabelle Brelot, Professeur à l’Université de Lyon II ; Olivier Herrenschmidt, Professeur émérite à l’Université Paris X ; Raymond Jamous, Directeur de recherches au CNRS ; Rémy Ponton, Professeur à l’Université Paris VIII et Paul Sant-Cassia, Professeur à l’Université de Durham. [La soutenance aura lieu à la Maison de l’archéologie et de l’ethnologie de l’université Paris X – Nanterre]
Claire Lévy-Vroelant, professeure de sociologie, a été élue au comité de rédaction de la revue European Journal of Housing Policies publiée par les éditions Routledge.
Léonie Hénaut, Néhara Feldman (sociologue) et Yazid Ben Hounet (anthropologue) seront cette année ATER (attachés temporaires d’enseignement et de recherche).
Le département de sociologie était particulièrement bien représenté au congrès de l’Association française de sociologie. Une dizaine d’enseignants étaient présents. Parmi eux : Régine Bercot (Risque et action pour le conjoint du malade Alzheimer), Aude Béliard, Marie Bonici (Apport méthodologique du traitement symétrique des deux catégories de sexe), Sylvain Bordiec (La socialisation juvénile dans les quartiers populaires par des institutions spécialisées), Claude Dargent, Françoise de Barros (Les émeutes des Minguettes en 1981), Léonie Hénaut (Mémoire, authenticité, valeur : ce qui se fabrique quand on restaure un oeuvre d’art), Josette Trat (Le virilisme dans les quartiers populaires)… C’est une collègue sociologue au département des sciences de l’éducation de Paris VIII qui a été élue président de l’Association française de sociologie, Dan Ferrand-Bechmann.

Deux nouveaux ouvrages de Régine Bercot

Régine Bercot, professeure de sociologie à l’université Paris 8 est la co-auteure de deux nouveaux ouvrages :

R.Bercot et F. De Coninck, Les réseaux de santé ; une nouvelle médecine ?, Paris, l’Harmattan, collection logiques sociales, 2006

Les réseaux de santé apparaissent comme l’objet idéal. Ils permettraient d’assurer une médecine économique, proche du malade et conviviale. Dans la pratique, pourtant, ils ne se développent que lentement.
A travers l’étude de deux cas concrets l’ouvrage fait le tour des obstacles institutionnels, des hiérarchies professionnelles implicites et des enjeux organisationnels toujours sous-estimés, qui rendent un tel mode de travail difficile à mettre en oeuvre.
Il montre que lorsque des promoteurs suffisamment déterminés pour surmonter ces obstacles parviennent à mener à bien leur projet, on assiste effectivement à l’émergence de nouvelles pratiques. Le malade prend une place plus importante dans le soin, il est considéré comme un acteur à accompagner ; les protocoles d’intervention ou les pratiques plus informelles ont comme objectif de le rendre le plus autonome. Ces formes d’accompagnement supposent que professionnels, membres des associations, entourage familial et malades dialoguent et coopèrent. La demande sociale d’une santé qui soit partie intégrante du mode de vie y trouve ici son compte.

Régine Bercot, Alexandre Mathieu-Fritz, Les chirurgiens Eléments pour une analyse sociologique d’une crise de recrutement professionnel, Genre Travail et Mobilités (G.T.M.), Septembre 2006, Contrat de recherche entre l’A.P.-H.P. et le LATTS et GTM.
Synthèse du rapport :

Les chirurgiens. Eléments pour une analyse sociologique
d’une crise de recrutement professionnel
Depuis la fin des années 1990, il est communément admis par le corps médical, ainsi que par les responsables administratifs des hôpitaux et par les instances politiques de tutelle qu’il n’y a plus assez de chirurgiens. Autrement dit, tous s’accordent à constater que des postes de chirurgiens au sein d’hôpitaux, aussi bien publics que privés, demeurent vacants et qu’il faut prendre des mesures pour combler ce manque afin de garantir le bon fonctionnement des services chirurgicaux. Faut-il voir, à travers ce phénomène, une forme de désaffection pour la profession de chirurgien – certains parlent de « crise des vocations » –, et à son origine, une perte de son prestige ? Si tel est le cas, comment expliquer cette éventuelle perte de prestige, alors que la chirurgie semble toujours offrir (visiblement) des résultats plus satisfaisants au fil du temps et être à la pointe du progrès ? Cette première perspective d’analyse invite notamment à s’interroger sur les conditions actuelles d’entrée dans la profession et d’activité, ainsi qu’aux principaux changements qui, au cours des dernières décennies, les ont affectées. On peut se demander si les divers problèmes liés aux conditions d’exercice (judiciarisation, augmentation des primes d’assurance, baisse du pouvoir d’achat, revalorisation de l’acte chirurgical, (ré-)organisation du fonctionnement des hôpitaux avec la R.T.T., etc.), n’expliqueraient pas à la fois le mécontentement des chirurgiens – observables à travers leurs diverses prises de position publiques au cours des années 2000 – et la désaffection (supposée) des étudiants en médecine pour l’activité chirurgicale. D’aucuns voient dans le recul relativement récent du rang du premier – parmi les impétrants reçus au concours de l’internat et aux E.C.N. – qui choisit de devenir chirurgien, un des symptômes de la crise que traverserait aujourd’hui la chirurgie.
Au-delà de tels phénomènes, peut-on déceler, plus simplement, à travers les difficultés à pourvoir tous les postes en chirurgie au sein des hôpitaux, une crise liée cette fois à un déphasage entre le nombre d’individus formés à la chirurgie et les besoins effectifs en chirurgiens ? Existe-t-il de réelles difficultés à pourvoir les postes de chirurgie étant donné que les internes les mieux classés choisiraient moins prioritairement cette discipline ?
Les phénomènes de réduction, puis d’augmentation des postes d’internes en chirurgie laissent penser que les besoins en chirurgiens ne sont pas estimés correctement à moyen terme par les instances compétentes chargées de les évaluer, ou, à tout le moins, que celles-ci ne parviennent pas à prendre des décisions permettant de garantir le renouvellement démographique du corps chirurgical – sachant que ce renouvellement présente des contraintes spécifiques liées principalement à la longueur des études qui mènent à l’activité de chirurgien.

L’objectif de notre analyse est de tracer des pistes de réflexion permettant d’offrir des éléments de réponse à toutes ces questions. Certaines de ces pistes – à l’image de celle consacrée à l’analyse en termes de morphologie sociale et professionnelle des chirurgiens –, ont été approfondies, la quantité de données disponibles sur le sujet nous autorisant des développements relativement importants. D’autres pistes ont été explorées de façon plus synthétique, s’appuyant, principalement, sur des travaux menés par d’autres sociologues, mais également à partir des entretiens que nous avons réalisés auprès de chirurgiens. Enfin, certaines des pistes de recherche que nous avons empruntées ont débouché sur de nouvelles hypothèses de recherche que seules des enquêtes sociologiques ultérieures permettront de confirmer, d’infirmer ou d’amender.

L’hypothèse d’une relative indépendance des phénomènes de crise affectant la chirurgie semble pouvoir être confirmée au vu des éléments recueillis : la crise de recrutement n’est pas l’expression d’une crise des vocations et n’est pas non plus la conséquence de la crise des identités professionnelles qui touchent aujourd’hui tendanciellement les praticiens les plus âgés, qui ont connu une période d’activité plus favorable (sur le plan de la reconnaissance sociale, professionnelle et économique et en termes de pouvoir). Cette crise de recrutement est due principalement aux politiques de réduction des effectifs à l’issue de la première année de médecine et à l’entrée de l’internat au cours des années 1970 et 1980, et à l’absence de politiques sur le plan de la démographie médicale et chirurgicale s’inscrivant sur le moyen terme. Il a fallu attendre les premiers effets de la pénurie pour que des voix s’élèvent ; il a fallu attendre également que le problème touchent les C.H.U. pour que les « dominants » du champ médical s’en inquiètent réellement, alors que le problème aurait pu être totalement anticipé.
Le recul du rang des choix n° 1 pour la chirurgie à l’issue des épreuves classantes nationales est dû principalement à la féminisation des étudiants en médecine ; à cet égard, rappelons que la faible attractivité de la chirurgie auprès des femmes n’est pas un fait nouveau : en ce sens, il n’y a pas désaffection, c’est-à-dire, perte de l’intérêt, puisque cet intérêt est plutôt quelque chose à construire.
Enfin, il se peut, en revanche, qu’une « crise » ou plutôt un changement d’un nouveau genre soit en train de se jouer : certains chirurgiens déconseillent fortement à leurs enfants de devenir chirurgiens ; nous ne savons pas si ce phénomène est plus prononcé que par le passé, mais il est fort probable que le mécontentement actuel d’un grand nombre de chirurgiens face à leur activité les conduisent, plus qu’auparavant, à tenir ce genre de discours à leurs enfants. Nous assisterons donc peut-être, d’ici une vingtaine d’années, à un recul de la proportion des « dynasties » de chirurgiens.
Un très grand nombre de discours sur la crise du recrutement des chirurgiens établissent des liens entre le manque de praticiens et la désaffection pour la discipline ; entre le recul des choix n° 1 pour la chirurgie et une « crise des vocations » ; certains disent : « même le dernier de l’internat ne choisit pas chirurgie » : « et pour cause ! » pourrait-on lui répondre, car le dernier sait qu’il n’a aucune chance d’obtenir un poste en chirurgie au vu de ses prestations aux E.C.N.. Des données parfois très fantaisistes sont mobilisées jusques et y compris chez les acteurs politiques de l’Assemblée nationale (on peut prendre pour exemple la moyenne d’âge des chirurgiens qui passe de 47 ans… à 57 ans). Bien souvent, on explique la désaffection par le nombre de postes d’internes ou de praticiens diplômés qui sont vacants ; or, il y a toujours des postes d’internes qui demeurent vacants (dont on apprécie globalement l’importance en mesurant le taux d’inadéquation) afin d’élargir les possibilités de choix de lieu de stage semestriel des internes. Autrement dit, ce n’est pas toujours ce qui est réel, objectif, qui a changé, mais le discours sur cette réalité, même s’il faut bien reconnaître que certaines disciplines chirurgicales semblent plus prisées que d’autres.
En bref, un grand nombre de discours relèvent du paralogisme – i.e. d’un raisonnement faux fait de bonne fois –, et font partie intégrante de diverses formes de rhétorique professionnelle portée par certains représentants français de la chirurgie, c’est-à-dire de discours stratégiques dont les objectifs sont de revaloriser cette discipline. Selon nous, une des pistes de ce travail de transformation du groupe professionnel doit être celui de la féminisation de l’activité – s’il paraît toujours souhaitable de recruter parmi les meilleurs de l’internat.

L’image que les jeunes et les chirurgiens se font de la transformation du métier est liée à différentes variables. Il existe une sorte de mythe du chirurgien tout puissant pouvant tout obtenir de l’institution comme des équipes et des malades qui fait parfois référence et qui, bien entendu, ne peut être confronté sans nostalgie à la réalité. Si ce mythe se manifeste parfois dans les imaginaires, la réalité historique est moins linéaire et la chirurgie a dû s’imposer comme spécialité. Aujourd’hui, le métier se transforme tant dans l’exercice concret de l’activité que sur le plan des conditions sociales de son exercice ; plutôt que de crise, il nous paraît plus judicieux de parler de différentes évolutions qui interpellent les modalités d’accès et d’exercice du métier.
La chirurgie comprend un certain nombre de dimensions qui la rendent attractive. Elle apparaît comme un métier total – complet – au sens où les éléments de figures professionnelles diverses s’y côtoient. Inscrit dans la décision et le faire, le chirugien est un professionnel basant à la fois ses actes sur la rationalité et sur l’art. Métier du recours vital, il imprime sa marque sur le corps de l’autre. En ce sens, il détient non seulement un pouvoir d’action qui lui vaut l’admiration sociale de différents cercles (équipes, patients, confrères, etc.), mais il détient le pouvoir d’entrer dans le corps de l’autre et de le transformer.
Nous avons pu pointer le fait que le développement des techniques est attractif pour les jeunes qui cherchent à se spécialiser. Or ce développement est important dans différentes spécialités chirurgicales.
Le chirurgien ne peut exercer son activité que s’il parvient à maîtriser le stress lié à l’enjeu humain et parfois vital. Si la relation à la mort n’est pas présente dans toutes les chirurgies, l’importance du geste – quel qu’il soit – pour le patient suppose une grande maîtrise qui s’acquiert par l’exercice concret et la répétition des actes. S’il s’agit d’un métier d’art où chaque acte apparaît comme un prototype, il reste que la dextérité, la confiance en soi s’éprouvent dans la régularité de l’exercice. Métier où le risque d’erreur et le risque de faire insuffisamment bien est toujours présent. Il apparaît que le doute accompagne également sa propre évaluation.
Cependant, ce doute voisine avec l’affichage d’une forte certitude. C’est en tout cas le regard renvoyé par l’environnement. Le chirurgien doit gérer son propre stress et celui des équipes en relativisant et en ne faisant pas paraître sa déstabilisation. Sauver la face apparaît ainsi essentiel tant pour la renommée et la confiance que le chirurgien construit vis à vis de lui-même que pour sa réputation.
Ainsi, il apparaît que l’on ne parvient à affronter le stress que si un certain nombre de conditions aident à l’assumer. Ces dimensions sont à la fois d’ordre psychologique (et supposent un travail sur soi) et social. Si l’on s’intéresse à la question du service et à la relation psychologique entretenue avec le patient, on se rend compte qu’il peut y avoir une contradiction entre le besoin psychologique de relation avec le chirurgien éprouvé par le patient et le besoin de mise à distance que le chirurgien souhaite construire pour opérer avec plus de sérénité.
L’acte lui-même est certes un acte de réparation, mais il comporte une dimension créative forte. On peut donc dire que lorsqu’il y a un acte réussi, la satisfaction est inhérente à l’acte. A l’inverse d’autres activités, le travail de chirurgien comporte en lui-même une possibilité de gratification.
Cependant, la gratification et la reconnaissance sociale restent des éléments importants comme pour d’autres activités – on pourrait même ajouter plus que dans d’autres activités. On a pu ainsi remarquer l’importance que le chirurgien accorde à la reconnaissance du patient et de son entourage. L’acte de réparation est objet d’un fort investissement subjectif – qui peut s’apparenter à une prouesse –, sa mise en œuvre génère une attente forte. Celle-ci est à la mesure de l’investissement dans l’acte d’opération, du déploiement de sa propre énergie, de sa dimension d’invention et de réaction.
Quels sont les retours – reconnaissances et appuis – sur lesquels les chirurgiens peuvent compter ?
Sans évoquer à nouveau chacun des éléments développés dans le texte, revenons sur quelques points essentiels. La carrière menant à un statut de P.U.-P.H. est longue. Elle suppose de faire de nombreux sacrifices tout au long des études, puis de la vie professionnelle. Il n’y a pas de certitude sur la possibilité de faire carrière. Les chirurgiens de l’A.P.-H.P. sont relativement mieux lotis que d’autres métiers de l’hôpital – dont les membres occupent des postes de haut niveau. Mais, pour le jeune sortant qui souhaite faire chirurgie à l’issue de l’internat, la voie d’accès demeure très incertaine, marquée relativement par un choix réalisé le plus souvent par défaut, étant donné le nombre de places existantes pour les disciplines les plus prisées.
L’activité du chirurgien de l’A.P.-H.P. se situe en tension entre des dimensions qui s’articulent plus ou moins bien entre elles, en tous cas, de manière plus ou moins satisfaisantes : cependant, opérer, faire de la recherche, encadrer les étudiants, réaliser des tâches administratives sont des tâches qu’il est très difficile, voire impossible de mener conjointement – sauf à sacrifier la vie hors travail. Il serait intéressant d’approfondir les modalités des arbitrages qui permettent d’assumer les différents angles du triangle : opérer, rechercher, former. L’activité dans le cadre de l’A.P.-H.P. présente un certain nombre d’avantages ; on peut souligner ainsi la qualité des moyens liés à l’acte de chirurgie, même si parfois, certaines conditions matérielles et de logistique demeurent quelque peu indigentes. Une sorte de complémentarité dans les moyens s’organise à la marge (par exemple, pour la formation continue) entre les moyens offerts par l’A.P.-H.P. et ceux de l’industrie pharmaceutique ; une sorte de statu quo – arrangeant les différentes parties – semble assez bien fonctionner.
La composition des équipes joue aussi sans aucun doute un rôle par rapport à ce contenu d’activité. Le rôle des internes est également important dans différents services. Il serait intéressant de pouvoir rendre compte de manière plus précise des modalités de prise en charge des malades par les internes. En effet, dans leurs propos, les chirurgiens insistent beaucoup sur l’absence de délégation, sur le fait qu’ils prennent le malade en charge tout au long de son parcours. Il serait donc intéressant de voir comment s’effectue le partage des tâches.
L’activité au sein de l’A.P.-H.P. cadre également des missions qui conviennent bien aux chirurgiens, tant dans leur contenu que dans leur principe de fonctionnement. Ainsi, les modalités de rémunération ne conduisent pas à un rythme d’activité effréné d’opérations, les cas traités sont sans doute moins répétitifs et plus stimulants que ceux que présentent certaines activités privées. Institution prestigieuse, l’A.P.-H.P. constitue un bon support pour acquérir une forte reconnaissance de la part des pairs.
La reconnaissance financière est parfois estimée par les chirurgiens à l’aune des meilleures situations dans le privé et il est clair qu’alors on peut constater un différentiel appréciable dans les niveaux de rémunération, mais on pourrait aussi ajouter, pour balancer cette remarque, que les conditions d’activité ne sont pas les mêmes non plus. L’A.P.-H.P. assume ainsi la charge des risques juridiques (lorsqu’il y en a) liés à la pratique chirurgicale. Les conditions d’activité permettent de trouver du renfort dans les équipes de travail lorsque cela s’avère nécessaire… il n’est pas non plus impossible pour un chirurgien de l’A.P.-H.P. de compléter son revenu par des vacations dans le secteur privé. Ceci relativise l’inconvénient qu’il y aurait à travailler dans une structure publique.
La question de la reconnaissance n’est pas uniquement institutionnelle, elle est également sociétale et relationnelle. Le niveau de formation du malade, son accès à l’information se transforment. Non seulement le malade souhaite de plus en plus comprendre, mais il souhaite participer à ses choix de santé. Le type de relation parfois asymétrique qui pouvait parfois s’exprimer entre chirurgien et malade n’apparaît plus viable. Le chirurgien ne peut plus se permettre de négliger la relation au malade et de le considérer exclusivement comme objet d’expertise. La loi oblige à une information, l’expertise conduit à donner beaucoup plus d’explications, à faire œuvre de pédagogie pour informer le malade. Cette question de l’information est excessivement complexe, et sujette à caution. On peut penser que le chirurgien peut y gagner une meilleure compréhension de la difficulté de son métier par le malade, qui attend parfois une réparation quasi mécanique de son corps. Cette nouvelle place du malade n’est pas toujours négociée de la même manière par les chirurgiens. Si certains s’en accommodent et s’en saisissent pour bâtir de meilleures relations, d’autres semblent moins à l’aise. Cette différence d’attitude peut être liée à des manières différentes de poser la focale. On ne peut pas, en effet, parler d’un seul modèle de malade et les chirurgiens ont à faire à une forte diversité de cas. Mettre la focale tantôt sur les malades les moins respectueux et les plus désinvoltes, tantôt sur les plus reconnaissants et ceux avec lesquels on dialogue le mieux, modifie certainement la vision que les chirurgiens ont des relations aux malades.

En chirurgie, les conditions de choix d’une spécialité rendent difficiles et parfois assez aléatoires le choix de la discipline convoitée. Il importe ici de pointer le fait que les femmes sont majoritaires parmi les personnes ayant réussi le concours d’internat. Elles auraient donc vocation à alimenter le vivier des chirurgiens tout comme celui des autres disciplines médicales. Cependant, elles ne s’orientent que rarement vers le métier de chirurgien. Ses conditions d’exercice ne permettent pas de concilier vie familiale et vie professionnelle et on peut se demander si les conditions actuelles d’exercice, la surcharge de travail et des horaires laissant peu de place à la vie hors travail ne vont pas encore accroître le fossé. De plus, la génération actuelle des hommes est également sensible à la qualité de vie et à la possibilité d’exercer des loisirs. Maintenir l’attractivité de la chirurgie supposerait certainement de reconsidérer les conditions de l’activité et de la charge de travail.
En outre, l’image donnée par certains chirurgiens ne concourt pas à la rendre attractive ; on peut évidemment se demander dans quelle mesure ceux qui ont un comportement machiste et irrespectueux des étudiants le font volontairement. L’hypothèse que l’on peut faire est que, dans cet univers, l’arrivée des femmes ne semble pas réellement souhaitée. De ce fait, leur légitimité est facilement contestée. Les relations entretenues par les chirurgiens qualifiés avec des jeunes femmes internes ou externes conduisent à un sentiment de rejet, d’échec et de doute concernant leur professionnalité en construction. Ces formes de relation qui apparaissent contestables ont un effet sur les choix que feront les internes. Si ceci ne correspond qu’à des indices, il serait possible de le vérifier par des enquêtes de plus grande ampleur.

Un Journalier

Par Jean-François Laé, professeur à l’université Paris 8

Après sept mois passés à Montréal (enseignement à l’UdM — l’Université de Montréal –, séminaires, rencontres diverses…) et de retour à Paris 8 vers mes étudiants et cher(e)s collègues, je me propose de vous livrer quelques rencontres d’archives au hasard du temps passé de l’autre côté de la mare. Sous forme légère, voilà un journalier (expression des infirmières des hôpitaux des années 60), des éléments qui m’occupent en ce moment : l’infime, les détails, les documents sans intérêt et abandonnés.

Lundi : Infos-crime

Passionnant, une chaîne de télévision en continue (info-crime), avec chaque minute, la photographie d’un repris de justice, d’un vol au guichet, d’une banque ou d’un dépanneur ou encore, la photo de celui ou celle qui a disparu. Massivement, ce sont des caméras qui ont pris un visage devant le distributeur de billet, un visage toujours couvert par l’écharpe et le bonnet d’hiver. Comme dans les films, l’homme est masqué, seuls les yeux apparaissent vaguement. Mais l’on suppose que même couvert, on peut reconnaître quelqu’un. Comment identifier un personne masquée ? Un bout d’oreille pourrait-il trahir une identité ? Une monture de lunette, une mèche de cheveux, une montre, la couleur du bonnet ? Le programme Info-Crime -« CrimeStoppers » ailleurs en Amérique du nord- a été mis sur pied dans plus de 600 villes nord-américaines, dont plus de 25 au Canada ( Toronto, Winnipeg, Ottawa, Calgary et Hamilton-Wentworth). Il est financé par la Chambre de commerce de Montréal. Vous pouvez gagner mille dollars en une minute !

Si vous offrez une information concernant la personne recherchée : « Pour retracer cet individu, veuillez SVP nous aider à le trouver. Soyez assuré d’un traitement en toute confidentialité. » C’est le signalement qui est intéressant : taille et poids évidemment, mais aussi les tatouages sur le bras gauche, « Woody, Woodpecker », il possède des outils de cambriolage ». Depuis 1995, on peut signaler de façon « volontaire, anonyme et confidentielle des actes criminels afin de venir en aide aux services policiers. » Protéger ses citoyens et maintenir leur sécurité, que ce soit à la maison, à l’école, au travail ou dans la rue, Info-Crime marche fort bien, « c’est un moyen d’éveiller la conscience sociale des citoyens » dit-on. Dès le 1er janvier, j’ai donc regardé longuement par ma fenêtre de l’appartement qui donne sur la rue St Hubert, sait-on jamais. On pourrait faire cette histoire de l’identification, de la dénonciation, de l’hétérocontrôle qui s’exerce en certains lieux et qui « élève la conscience »

Mardi : Les centres commerciaux.

Evidemment toutes les villes d’amérique du nord sont peuplées de centres de distributions, un commerce gigantesque et pour le moins dynamique, que j’ai fréquenté assidûment. Ce n’est pas les contrôles des caméras qui ont retenu mon attention, mais le monde du vocabulaire pour dire et distinguer tel ou tel centre en tel ou tel espace. Contrairement aux apparences, les innovations n’ont de cesse et les spécialisations sont d’une précision redoutable. Le sociologue sourira, pourtant rien n’est laissé au hasard, Factory n’est pas Outlet Center, Entertainment Center n’est pas Power Center… Commençons par les quartiers chics et les quartiers d’affaires, le nom choisi sera de Central Business District. Dans les quartiers résidentiels classes moyennes, Neighborhood Business District ou Secondary Business District seront préférés dans lesquels le supermarché de taille modeste fait traction. Si l’on s’éloigne de ces zones socialement centrales, on glisse assez vite sur le Shopping Center ou c’est la pharmacie (drugstore) qui fait le centre. Plus loin encore, on entre dans le « commercial divers » où tout se mêle, General Merchandise Store. Vient ensuite les magasins populaires, Variety Story et les Dollarama en pagaille. Le commerce attractif en bas de l’échelle, c’est la surface spécialisée en jeu pour tous âges, une caverne d’Ali Baba où tous les jeux sont permis. Evidemment, le jeu populaire est toujours aux aguets, le hasard, la chance ou le crime pour rire. Un projet de recherche pourrait là trouver son miel, déterrer et décrire les nouveaux jeux populaires, les dérivés des films qui remplacent la fête foraine et le jeu du loto. Autre pôle gigantesque d’activité, les grandes surfaces spécialisées pour faire sa maison et qui développe parallèlement des centres de loisirs. Etudier le récréatif dans les galeries marchandes nous apprendrait sur leur attraction du samedi-dimanche. On ne fait pas que de consommer, loin de là, on sort en couple et en famille, on va s’amuser. Pourquoi délaisser cet amusement ? Le centre de loisirs est là et non plus sur les berges du fleuve. Festival Mall, Festival Center, un nouveau lieu d’enquête sur le temps privé populaire.

Mercredi : travailler

Je fais une incursion dans une entreprise du bâtiment, à une heure de voiture de Montréal, là où un étudiante, Julie R. dirige le personnel administratif et ouvrier, soit soixante personnes, On y fabrique des montes-charges et des échafaudages métalliques automatisés. L’ambiance est détendue. Je visite tous les ateliers et les bureaux, la fabrication et les recoins. On me propose de venir à la réunion d’atelier de tous les salariés à 11h. 45, qui discuteront de tout. La plupart ont moins de 35 ans. Assis-debout, adossés, sandwich en main, la détente est au rendez-vous. Boîtes plastiques et carottes circulent, les infos défilent. Apparemment sans ordre, la parole se prend. Savez-vous qu’il y a une fête-vente à tout dimanche prochain ? Savez –vous que Jacques à 10 actions de l’entreprise à vendre ( 800 dollars l’unité) ? Que la crèche d’entreprise ouvrira en septembre, c’est sûr. Un vieux bâtiment a été acheté à 400 mètres de là et les pères de l’entreprise concernés œuvre à la restauration. Savez-vous que l’accident de Boston n’est pas lié au matériel de l’entreprise mais à une erreur humaine ? Je me crois dans une assemblée informelle de voisinage en HLM, loin de l’esprit syndical attendu. Point de revendication, on collabore à toute initiative de l’entreprise. Les rires l’emportent de loin. On cherche 4 nouveaux employés pour le montage d’échafaudage, si vous avez des amis ? Je demande à voir les vestiaires, curiosité pour regarder les armoires : photos de photos à l’occasion. On mime la punition corporelle sur l’une d’elle.

C’est çà le boulot, un coup de bate et çà avance plus vite. La journée se passe de rire en rire. Il y a toute une histoire à faire des photographies scotchées dans les vestiaires des ateliers au travail, dans les camions des routiers, dans les bureaux parfois, dans les cabines de travail. Soit une autre manière d’interroger le privé dans le travail, la place de l’intime et de la sexualité dans l’entreprise.
Je reviens à la réunion, pourquoi suis-je tétanisé ? Parce que je m’attendais à du conflictuel ouvert ou des prises de bec, protestations et revendications. Or, c’est un repas réunion qui se déroule où toutes les nouvelles sont à prendre, des offres et des demandes de services, si loin de l’entreprise, si loin de la plainte et du grognement. On parle layette, landau et voiture ; médecine, vélo et barbecue. Je rêve, je serai donc le seul grincheux du groupe ? Pourtant, en sortant, je vois une petite file d’attente d’ouvriers dehors derrière une camionnette ; Il crachine et fait froid, le côté gauche du véhicule s’ouvre automatiquement, cent sandwichs apparaissent. Ils ont vingt minutes pour manger. Tous les jours à 13h. la camionnette va de chantier en chantier servir les sandwichs, un service organisé par la corporation du bâtiment. Tout est bon dans l’entreprise. Cette camionnette est un vrai bonheur. Manifester son entrain est une règle. Alors soyons joyeux.

Jeudi : La société du contrat

On le sait, la société nord américaine s’alimente sur la confiance coproduite par les individus qui doivent se montrer à la hauteur de l’exigence. Les quelques institutions d’accueil des hommes et des femmes à la rue, des toxicomanes demandeur d’aide sont tenues par cette même toile de fond : le contrat avec autrui. Dans mon cours sur la prise d’écriture populaire ( à l’UdM) les étudiant(e)s étaient invités à trouver des archives contractuelles. Ainsi ce document est arrivé.La Maison de rééducation l’Eude de Montréal propose à chaque nouveau pensionnaire un contrat dit « contrat de non-suicide ». il se présente ainsi.

« Par la présente, je m’engage formellement, durant mon séjour à la Maison de L’Eude, à ne pas attenter à ma propre vie et cela de quelque façon que ce soit.
Nous, le personnel de la Maison de l’Eude , nous nous engageons en retour à t’être disponible en tout temps, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, pour l’écoute et la présence dont tu pourrais avoir besoin.
Date.
Le résidant.
Membre du personnel. »

La technique contractuelle n’a pas de limite. C’est une source privilégiée pour comprendre les disciplines et les contrôles. C’est un moyen d’investissement des corps et des lieux. Le corps là est assigné à un lieu à cette condition : ne pas attenter à sa propre vie ». Combien d’établissement use de ce procédé pour tenir les corps en place ? Le contrat est une réponse à une peur institutionnelle, on t’aidera, mais ne sort pas par la fenêtre. On peut se demander si les auteurs croit une seule seconde à l’efficace de ce pacte ; ou n’est-ce pas simplement l’expression du désespoir institutionnel ? Ce document fait scintiller les spasmes des professionnels. Peut-on prendre ces documents comme le reflet de ce qui les préoccupe massivement ? Mourir ici est insupportable. Il faut repousser cela ailleurs. Pas ici s’il vous plaît. Le contrat est une machine de croyance incroyable, qui porte souvent une efficace incontestable mais qui connaît aussi ses ratés. On peut ainsi interroger les croyances qui font ou non corps avec le contractuel. Toutes les croyances ne sont pas égales dans les écrits.

vendredi : redresser le langage.

Chez un brocanteur du quartier Saint Michel au hasard de mes curiosités, je trouve un étrange jeu de carte. Des phrases se succèdent les unes les autres, les unes en caractère gras, les autres en italique. L’auteur est l’abbé Etienne Blanchard. et porte le titre « le bon langage ». Est-ce un jeu ou de la littérature ? la date de fabrication indique 1952. Serions-nous dans une colonie avec son sauveur père Abbé ? Il ne faut pas oublier que l’Eglise fut présente dans toutes les institutions, créée souvent à son initiative, jusque dans les années 70. Les communes, l’état civil, toutes les formes de certification furent sous sont emprise directe et incontestée.
Prenons une carte :

-En arrivant, j’ouvre ma malle.
-En arrivant je dépouille mon courrier.

-Jules et Lucie, ça fait un beau match.
-Jules et Lucie forment un couple assorti.

-Je pensionne sur la rue St Denis
J’ai ma pension rue saint Denis.

-Il m’obstine qu’il fait beau
Il soutient qu’il fait beau.

Une autre carte :

Il poffe comme toute.
Il se pavane.

Il est parent avec moi
Il est mon parent.

Sa fortune est plate
Il est sans sou

Va maller ces lettres
Va poster ces lettres

Chaque joueur prend une carte et lit la première phrase ; celui des autres joueur qui parvient à la rectifier correctement gagne un point. Curieuse littérature que ce genre de jeu populaire ou plutôt, à l’adresse du peuple Québéquois qui parle par image. C’est l’espace scolaire qui s’empare de la famille et du petit peuple. Redresser la langue est une vieille affaire qui perdure jusqu’à l’Université de Montréal. On pourrait s’interroger sur les nouvelles formes d’apprentissage de la langue, sur les techniques de redressement du « parler » et de « l’écrire ». Quelles sont les techniques utilisées dans les centres d’alphabétisation ? Quels sont les jeux inventés pour tenir le bon langage ? La discipline de la bonne langue prend quel chemin pour parvenir à ses fins ? Lire des vers, apprendre à sentir des parfums ?

Ces divers documents jalonnent bien des enquêtes, des documents passés inaperçus, une photographie dans lieu sans nom, une petite carte qui traîne, une galerie de papier parfois austère. Alors terminons par un samedi, ce jour d’enterrement et ces photographies qui présentent une famille réunie autour de la défunte, bien habillée avec son fichu sur la tête, le cercueil ouvert.

A l’écriture qui borde le cercueil, il semble que ce soit une famille polonaise habitant à Montréal. Mais quel est l’intérêt de ce document photographique ? C’est qu’on ne trouve guère de photographies de ce genre dans les albums familiaux, elle y ont été souvent retirées, là aussi parce qu’elles dérangeaient, elles gènent le cours des choses, trouble l’ordre du cadre social. Ces photos ont été retrouvées par hasard chez un brocanteur lors d’un déménagement. Comment appréhender cette situation qui disparaît ? Alors que cette photographie est rendue possible jusqu’en 1970 (date probable de celle-ci si l’on regarde vêtements et coupe de cheveux), comment ce geste deviendra impossible, voir indécent ?

Alors peut-on relever ce glissement insensible, la mort ne peut plus apparaître en photographie dans l’album de famille (alors qu’il donné massivement à la télévision).

Dans Libération

Baptiste Coulmont, maître de conférences au département de sociologie de l’université Paris 8, a publié une tribune libre dans le quotidien Libération

Interdire les sex-shops ?
Par Baptiste COULMONT
Libération, Mardi 11 juillet 2006

Dans le cadre d’un texte de loi sur la protection de l’enfance (Libération du 7 juillet), des députés UMP se sont mis en tête d’interdire les sex-shops à proximité des lieux fréquentés par des mineurs, par amendement : «Est interdite l’installation, à moins de deux cents mètres d’un établissement recevant habituellement des mineurs, d’un établissement dont l’activité est la vente ou la mise à disposition du public de publications ou de produits dont la vente aux mineurs est prohibée.» Depuis une ordonnance du Conseil d’Etat de 2005, les maires peuvent interdire leur installation en cas d’opposition locale. Depuis une loi de 1987, ils sont déjà interdits d’installation à moins de cent mètres des établissements scolaires. Depuis la loi de finance du 30 décembre 1986, leurs bénéfices sont surtaxés. Depuis 1973, leurs vitrines doivent être opaques. Depuis 1970, ils sont interdits d’entrée aux mineurs. Les tribunaux déclarent régulièrement que ce ne sont pas des commerces de «bons pères de famille» et que les règlements de copropriété peuvent les interdire. Des associations de quartier protestent contre leur implantation. La mairie de Paris rachète certains locaux pour les transformer en commerces agréables. Des députés, comme Bernard Perrut, (promoteur de l’amendement), pensent que des enfants pourraient être «témoins de comportements tendancieux liés aux sex-shops».
Les «bonnes moeurs» ont perdu toute force juridique, et la pornographie se diffuse un peu partout. Mais les seuls lieux spécifiquement consacrés à la consommation pornographique (et à la masturbation solitaire payante) se voient encadrés par un droit de plus en plus strict. Ce n’est plus la morale de la société dans son ensemble qui constitue l’étalon du droit des comportements, mais la bonne vie psychique et mentale des mineurs. Très efficaces, socialement et juridiquement, les enfants forment la base des arguments. C’est enfin un traitement urbanistique qui est proposé, la création de zones plus ou moins sexualisées. Il ne s’agit jamais d’interdire totalement ce type de magasins, mais de les éloigner de là où l’on habite. Car, finalement, c’est aussi la tranquillité locale que l’on recherche. Le nouvel ordre moral est donc fort complexe : il ne s’appuie plus sur les bonnes moeurs, mais sur un nouveau triptyque : la dignité, les enfants, le zonage. Une morale absolue, des personnes en danger, des espaces protégés.
Par Baptiste Coulmont maître de conférences à l’université Paris-VIII (Vincennes Saint-Denis).
source du texte : http://www.liberation.fr/opinions/rebonds/192568.FR.php