Dans Libération

Baptiste Coulmont, maître de conférences au département de sociologie de l’université Paris 8, a publié une tribune libre dans le quotidien Libération

Interdire les sex-shops ?
Par Baptiste COULMONT
Libération, Mardi 11 juillet 2006

Dans le cadre d’un texte de loi sur la protection de l’enfance (Libération du 7 juillet), des députés UMP se sont mis en tête d’interdire les sex-shops à proximité des lieux fréquentés par des mineurs, par amendement : «Est interdite l’installation, à moins de deux cents mètres d’un établissement recevant habituellement des mineurs, d’un établissement dont l’activité est la vente ou la mise à disposition du public de publications ou de produits dont la vente aux mineurs est prohibée.» Depuis une ordonnance du Conseil d’Etat de 2005, les maires peuvent interdire leur installation en cas d’opposition locale. Depuis une loi de 1987, ils sont déjà interdits d’installation à moins de cent mètres des établissements scolaires. Depuis la loi de finance du 30 décembre 1986, leurs bénéfices sont surtaxés. Depuis 1973, leurs vitrines doivent être opaques. Depuis 1970, ils sont interdits d’entrée aux mineurs. Les tribunaux déclarent régulièrement que ce ne sont pas des commerces de «bons pères de famille» et que les règlements de copropriété peuvent les interdire. Des associations de quartier protestent contre leur implantation. La mairie de Paris rachète certains locaux pour les transformer en commerces agréables. Des députés, comme Bernard Perrut, (promoteur de l’amendement), pensent que des enfants pourraient être «témoins de comportements tendancieux liés aux sex-shops».
Les «bonnes moeurs» ont perdu toute force juridique, et la pornographie se diffuse un peu partout. Mais les seuls lieux spécifiquement consacrés à la consommation pornographique (et à la masturbation solitaire payante) se voient encadrés par un droit de plus en plus strict. Ce n’est plus la morale de la société dans son ensemble qui constitue l’étalon du droit des comportements, mais la bonne vie psychique et mentale des mineurs. Très efficaces, socialement et juridiquement, les enfants forment la base des arguments. C’est enfin un traitement urbanistique qui est proposé, la création de zones plus ou moins sexualisées. Il ne s’agit jamais d’interdire totalement ce type de magasins, mais de les éloigner de là où l’on habite. Car, finalement, c’est aussi la tranquillité locale que l’on recherche. Le nouvel ordre moral est donc fort complexe : il ne s’appuie plus sur les bonnes moeurs, mais sur un nouveau triptyque : la dignité, les enfants, le zonage. Une morale absolue, des personnes en danger, des espaces protégés.
Par Baptiste Coulmont maître de conférences à l’université Paris-VIII (Vincennes Saint-Denis).
source du texte : http://www.liberation.fr/opinions/rebonds/192568.FR.php