Pour Stefan Jaffrin

TRAMES de la thèse. Auteur Stefan JAFFRIN. Titre : La phratrie  des GEM, sous titre  : sociologie des lieux  pour mieux vivre. 3éme de couverture : avec la complicité de Pauline Tremblay,  Médiatrice Pair de Santé à Angers (Pays de Loire). Le document se terminait. Il fallait encore tout réviser et mener quelques discussions sur les pairs aidants, le triangle bénévole/animateur/ militant, les lieux ressources mais ressource de quoi, le langage de l’entraide, les ratés de l’action d’aller vers…. Déjà nous nous réjouissions ensemble d’une soutenance prévue à l’Université de Paris 8  Saint-Denis en février 2024, sur laquelle Stefan travaillait depuis 4 ans à partir de ses engagements qui remontait à loin. Elle devait donner suite à son premier ouvrage, Les Tribu des GEM, paru à ERES en 2019, préfacé par Claude Finkelstein, et qui racontait d’un ton enthousiaste comment s’organisaient ces associations d’usagers de la psychiatrie. Un engagement tenace puisque Stefan  avait déjà enquêté – par un « Que Sais-Je »- sur les services d’aide psychologique par téléphone dès 1995.

Une vielle histoire qui devait faire une boucle par cette thèse enfin soutenue.

Disparu le 15 juin d’une crise cardiaque, Stefan Jaffrin était un génial inventeur de blogs pour mettre en lien celles et ceux, jeunes ou vieux, qui – souffrant de pathologie plus ou moins invalidante- souhaitaient se retrouver pour monter des journées ensemble, aller de l’avant, raconter quelques virées plaisantes ou partager du temps tout simplement. Sa création la plus retentissante fut  le site http://Entraide-Mutuelle.org, une source unique sur les GEM – ces lieux auto-gérés- avec plus de 500 articles, fonctionnant comme une base de connaissance sur les GEM, une présentation d’une centaine d’entre eux avec une carte de France des enquêtes éclairs qu’il menait. Stefan rédigeait seul chaque rubrique, seul à enquêter, seul à écrire la nuit pour alimenter ce blog qui lui ressemble tant.

« Ce que dans les médias, dans les institutions psychiatriques, dans les associations de malades on oublie, c’est qu’avec nos pathologies nous sommes humiliés, maltraités par la manière dont on parle de  nous. Parce que, cher professeur –  apostrophe qu’il me lançait à chaque appel téléphonique, non sans un petit rire – les mots ont un coeur, une mémoire très lourde pour celles et ceux qui ont été psychiatrisés. Les mots vivent en nous et souvent nous abîment ».

Stefan Jaffrin  était écorché par les mots  des dictionnaires psychiatriques et entendaient les contrebalancer en lançant des flèches avec «  sa tribu » contre la psychiatrie sommnolente aimait-il dire. Des flèches envers quelques amis aussi,  le collectif InterGEM GIG-M/Gémologie. Ou encore le CNIGEM (htttp://www.cnigem.fr) le collectif National Intergem qu’il pensait comme un concurrent.

Parmi tous ses écrits, son blog sera l’occasion de redécouvrir son côté journaliste, pamphlétaire parfois, enthousiaste et rageur, acrobate et espiègle qui le rendait si attachant à mes yeux, insupportable pour d’autres jusqu’à la fâcherie. Je crois qu’il aimait pousser loin le bouchon, bousculer l’ordre des choses, puiser dans tous les genres d’écriture, le reportage, le compte rendu jusque parfois le feu d’artifice dans un sourire inimitable.

« Écoutons, enquêtons, rendons compte, allumons les mèches » aimait-il à dire. Stefan Jaffrin était un allumeur genre poil à gratter qui tenait à distance les savoirs savants au profit des savoirs profanes. Écoutons en bas.

Jean-françois Laé