Voyage de classes est le nouveau livre de Nicolas Jounin, qui a enseigné sept ans à l’Université Paris 8 au département de sociologie.
Une demi-heure de métro sépare les quartiers parmi les plus pauvres de France de ses zones les plus riches. Partis de Saint-Denis, dans la banlieue nord de Paris, une centaine d’étudiants ont enquêté sur trois quartiers bourgeois du VIIIe arrondissement de la capitale. Pour s’initier à la démarche sociologique, ils ont dû se familiariser avec un monde nouveau et étrange, dont les indigènes présentent des coutumes et préoccupations insolites.
Boire un café dans un palace pour observer ce qui s’y passe (et être traité comme un client illégitime), stationner dans les boutiques de luxe pour décrire leur organisation (et se faire mettre dehors), apprendre à manger un mille-feuilles à 14 euros avec des « bourgeoises », approcher des institutions prestigieuses où les femmes n’ont pas le droit de vote, se faire expliquer le Bottin mondain et l’arrangement des mariages, interviewer dans son hôtel particulier un grand dirigeant qui « fait partie de ces familles qui ont des châteaux un peu partout » : ce sont quelques-unes des expériences que ces étudiants du 93 ont vécues. En même temps qu’il leur a fallu dompter l’exotisme pour bien comprendre le milieu dans lequel ils pénétraient, ils ont dû encaisser l’humiliation des multiples rappels à l’ordre social que suscitait leur démarche.
Des premières incursions anonymes et timides jusqu’aux face-à face sans échappatoire, ce livre raconte de manière crue et joyeuse les batailles livrées pour mieux connaître un monde social dominant. L’enjeu : renverser l’habitude qui veut que ce soit « ceux d’en haut » qui inspectent l’existence de « ceux d’en bas ».
Feuilletez le livre Voyage de classes
Ecoutez Nicolas Jounin sur France Inter
Nicolas Jounin était interviewé dans L’Humanité. Extraits :
Rendez-vous en terrain cossu
Entretien réalisé par Laurence Mauriaucourt
Dans son livre Voyage de classes, qui paraît aujourd’hui, Nicolas Jounin restitue trois ans d’enquête de terrain menée par une centaine d’étudiants de Paris-VIII en Seine-Saint-Denis, dans le 8e arrondissement de Paris, qui concentre tous les pouvoirs : culturels, politiques, économiques. Entretien et bonnes feuilles.
À la lecture de Voyage de classes, on vous sent, vous-même, quelque peu intimidé par les quartiers bourgeois, non ?
Nicolas Jounin C’était un défi, en effet. Je ne m’y sens pas particulièrement à l’aise. Et il fut assez amusant de voir que certains étudiants étaient plus audacieux que moi. Par exemple, je suis passé plusieurs fois devant le Plaza Athénée sans oser y entrer, alors que j’avais bien lu dans un des livres des Pinçon-Charlot qu’il était tout à fait possible d’aller y prendre un pot. Des étudiants l’ont fait. On doit pouvoir tout étudier. Quand j’ai eu terminé une première enquête sur le secteur du bâtiment dans les années 2000, pour laquelle je m’étais fait embaucher comme intérimaire ou stagiaire sur des chantiers, j’ai jugé utile de compléter cette expérience en allant dans les bureaux des ressources humaines, ceux des dirigeants d’agences d’intérim, pour voir. Il s’est avéré tout de même plus difficile d’y pénétrer que d’aller faire l’ouvrier sur les chantiers. Ainsi, je m’étais confronté à quelque chose de très banal et de très trivial, que beaucoup de gens savent, c’est qu’il est plus facile d’enquêter sur des milieux populaires, plus accessibles, plus ouverts, que sur des milieux de décideurs ou bourgeois.
Confronté ensuite, avec plaisir puisque je suis né dans le 9-3, à devoir enseigner à des étudiants de Seine-Saint-Denis, la question s’est évidemment posée : qu’allons-nous leur faire étudier ? Sachant que l’université Paris-VIII est attachée aux enquêtes de terrain dès le début du cursus de sociologie. Au fond, nous nous sommes dit qu’aucun terrain n’est interdit.
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Un article dans le Nouvel Observateur : Les pigeons étaient différents…
A quelques stations de métro, un autre monde. En s’aventurant un peu plus loin qu’à l’habitude sur leur ligne de métro, la 13, qui part de Saint-Denis, au nord de Paris, jusque dans le fameux triangle d’or parisien, ou bien aux alentours du parc Monceau ou de la Madeleine, Loubna, Hicham, Myriam, Nora (1) ont éprouvé le dépaysement du navigateur débarquant en terre inconnue.
« J’étais complètement ébahie. C’était la première fois que je me rendais dans un quartier aussi riche de la capitale », raconte ainsi Loubna.
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