Nicolas Jounin, auteur de Voyage de classes, était interviewé récemment par Le Parisien : Quand des jeunes de banlieue étudient le profil sociologique des riches parisiens (vidéo)
Un article était associé à cette vidéo : Les quartiers huppés sous la loupe des étudiants du 93
Nicolas Jounin, Nedjma Cognasse et Jordan Mongongnon étaient invités de l’émission Sept milliards de voisins sur RFI : Quand des étudiants d’une université populaire de banlieue partent à l’assaut des beaux quartiers de Paris, que voient-ils ? Comment sont-ils accueillis et surtout comment comprennent-ils les coutumes et habitudes des très riches ?
Le Quotidien du Médecin (lundi 8 décembre 2014) a publié un compte-rendu de Voyage de classes :
De la Seine-Saint-Denis aux beaux quartiers
Voyage dans le Triangle d’or
André Masse-Stamberger
Que se passe-t-il lorsque de jeunes apprentis sociologues quittent leur banlieue pour aller enquêter sur le somptueux 8e arrondissement de Paris ? Nicolas Jounin, lui-même sociologue, met en musique avec talent cette « inversion de l’exotisme ».
Idées
Il ne s’agit pas de questionner un SDF du haut de ses théories, mais de se confronter avec un immense fossé social, qui donne d’emblée un terrible vertige. Loubna, Nora et Hicham (prénoms changés) pénètrent dans un univers qui les regarde de haut, celui du Triangle d’or et du parc Monceau.
Les voici donc, entrant chez Dolce & Gabbana, Chanel ou Dior, avec leurs blousons et leurs jeans – il n’est pas rare qu’ils soient, d’emblée, gentiment refoulés. Leurs réflexions témoignent. « L’oeil est obligatoirement attiré par les vitrines, la beauté, la magie que dégage l’endroit, des cabines d’essayage dignes d’une chambre royale (…) au centre du magasin, une vue spectaculaire vers le ciel et au plafond un lustre en cristal. » « Room at the Top » disent les Anglais. Plus on monte et plus il y a de la place dans l’espace social, et nos enquêteurs le découvrent. L’aisance, à tous les sens de ce mot, c’est de se mouvoir facilement dans ce qui est notre milieu. De quoi ouvrir de grands yeux lorsqu’on vit dans un deux-pièces à Saint-Denis.
À chaque instant, Nicolas Jounin reprend le recul théorique nécessaire : il est souhaitable que l’interviewer ne soit pas dominé par sa propre émotion, écrasé d’admiration. « Les vêtements y sont exposés comme des oeuvres d’art », note justement l’une de nos beurettes. Il est également nécessaire, tentant des interviews, que nos héros ne sentent pas à chaque instant que la légitimité est du côté du sondé. « Ma famille est ici depuis huit générations », dit un aristocrate qui les reçoit dans son hôtel particulier. Et toutes les situations déploient et déplient l’humiliante distance sociale.
Humiliation, lorsqu’on doit poireauter dans l’immense hall du Plaza Athénée, sous l’oeil méprisant d’élégantes hôtesses. Incapacité de ressaisir l’initiative lorsqu’un grand bourgeois dirige brutalement le dialogue avec une énergique morgue. Même la gentillesse peut être étouffante, comme celle de cette mamie, interviewée dans une pâtisserie où les gâteaux sont à 16 euros, qui entreprend de leur enseigner l’art de découper une tartelette à la framboise !
Nous disions au début « Inverser le sens de l’exotisme ». C’est un peu ce que les travaux du couple Pinçon-Charlot ont réussi à faire. Mais les très riches ne sont pas que pittoresques, ils constituent par leurs réseaux, leurs affiliations, leurs pratiques (les célèbres rallyes endogamiques, par exemple) une force sociale terrifiante de surplomb.
Nos jeunes aspirants aux sciences sociales semblent s’être heurtés à un luxueux « Chantier interdit au public », pour reprendre un autre titre de Nicolas Jounin.
Note(s) :
Nicolas Jounin, « Voyage de classes », La Découverte, 233 p., 16 euros.