Depuis 2012, une grande enquête par questionnaires est réalisée par les étudiants en deuxième année de licence de sociologie et d’anthropologie de l’Université Paris 8 (Saint-Denis) et de l’Université Paris 10 (Nanterre). Cette enquête annuelle, portant initialement sur les étudiants de ces deux universités, a pris une dimension encore plus importante depuis l’an dernier avec la participation des étudiants d’Administration Economique Sociale de l’Université de Bretagne Occidentale (l’UBO à Brest) et la participation des étudiants de sociologie de l’Université du Havre Normandie.
Cette année, le thème de l’enquête est « le choix des études supérieures ». De manière plus précise, elle vise à décrire la diversité des trajectoires étudiantes et tente de saisir comment les étudiants construisent leurs orientations post-bac.
L’enquête a eu lieu en novembre 2017 et un peu plus de 4660 questionnaires ont été administrés dans des salles de cours tirées au sort afin de construire un échantillon représentatif des étudiants présents sur les campus. L’exploitation des matériaux a donné lieu à la production par les étudiants de 4 pages sur le modèle de l’Insee.
L’analyse des données par les étudiants s’est déroulée dans le contexte particulier de la mise en place de la réforme de l’accès à l’université par le gouvernement. Cette réforme repose sur le présupposé fort selon lequel les bacheliers s’orientent de manière inconsidérée vers l’université. Fondés empiriquement, les travaux des étudiants (dont certains sont accessibles par les liens ci-dessous) montrent au contraire que les orientations répondent à des logiques sociales précises. Ils confortent ainsi de nombreuses analyses sociologiques sur la construction des choix d’orientation.
L’option facultative d’apprentissage d’une langue ancienne par les collégiens : marqueur de parcours scolaire élitiste des étudiants à l’Université
Lola Lusteau (L3, sociologie) analyse le profil et le parcours à l’université des étudiants ayant fait le choix d’apprendre une langue ancienne au collège (latin ou grec ancien). Elle rappelle le rôle distinctif de ces options facultatives pour les familles de classes supérieures et insiste sur le sens du placement scolaire de ces familles. Elle montre que les étudiants concernés optent à l’université pour des formations plus prestigieuses que littéraires.
Stratégies et parcours scolaires des enfants de cadres
Agathe Donà et Prom Fam (L3, sociologie) étudient également le sens du placement des classes supérieures. Elles analysent les stratégies (qu’elles soient conscientes ou inconscientes) des classes supérieures (notamment des cadres et professions intellectuelles supérieures) quant à la scolarité de leurs enfants. Elles insistent sur l’investissement financier de ces familles dans la scolarité de leurs enfants avec le recours à des professeurs particuliers et des lycées privés.
Les influences des espaces scolaires et de la famille dans le choix des études supérieures
Marie Dauteuille et Leïa Martin (L2, sociologie) analysent les inégalités en matière d’accès à l’information sur les formations de l’enseignement supérieur. Elles émettent l’hypothèse que l’accès à l’information varie selon les ressources familiales des élèves et les établissements scolaires fréquentés (en zone prioritaire ou non, au collège et au lycée). Elles montrent que les inégalités se construisent dès le collège et que l’investissement de l’État en direction des Zones d’éducation prioritaire ou des Réseaux d’éducation prioritaire est insuffisant à les réduire.
Les carrières scolaires « contrariées »
Wafae Khaddour (L2, sociologie) s’intéresse aux carrières scolaires contrariées ou non-linéaires. Elle utilise trois indicateurs pour les définir : le redoublement au collège ou au lycée, le fait de ne pas obtenir son premier vœu de formation dans l’enseignement supérieur et enfin l’interruption du cursus ou la réorientation à l’université. Son hypothèse de départ est que les carrières étudiantes contrariées, souvent stigmatisées dans les discours publics, sont socialement déterminées. Elle propose des résultats en apparence inattendus. Les étudiants les plus dotés socialement et scolairement se réorientent et interrompent davantage leur cursus dans l’enseignement supérieur que les autres.
Pourquoi choisir une université de proximité ?
Jolanne Girard, Lucie Tanguy et Léa Lefèvre (L2, AES) s’intéressent aux raisons avancées par les étudiants pour expliquer le choix de l’établissement au sein duquel ils poursuivent leurs études. Jolanne, Lucie et Léa montrent que la proximité de l’établissement est un critère déterminant pour les étudiants des universités de Brest et du Havre. Ce critère est moins fréquemment avancé par les étudiants des universités de Nanterre et de Saint-Denis. Elles mettent en relation ce constat avec l’offre de formations dans ces différents territoires.
L’influence du capital économique des parents sur le choix des études supérieures
Killian Suzanne et Rosa-Anita Baeskens (L2, sociologie) évoquent également la question de la proximité de l’établissement et montrent que ce critère est davantage avancé par les étudiants de milieux populaires. Dans ce travail, ils réactualisent des analyses classiques en sociologie sur l’influence des ressources économiques et sociales des parents sur la trajectoire de l’étudiant. Ils montrent que ces dernières sont déterminantes pour penser les choix d’orientation au moment d’émettre un vœu de formation dans l’enseignement supérieur mais également en amont de ce vœu.
L’enquête sur « le choix des études supérieures » a été coordonnée cette année par Mathilde Apelle (Paris 8), Fanny Bugeja-Bloch (Paris-Nanterre), Marie-Paule Couto (Paris 8), Corinne Davault (Paris 8), Margot Delon (Paris 8), Nicolas Larchet (Le Havre), Myrtille Picaud (l’UBO) et Pierre-Edouard Weill (l’UBO).
Merci à Leïla Frouillou pour son aide sur ce projet.
La presse parle de l’enquête des étudiants :
– Le Parisien évoque la participation des étudiants de Paris 8 et de Nanterre au colloque de l’Anthropologie pour tous : http://www.leparisien.fr/seine-saint-denis-93/aubervilliers-des-lyceens-fiers-integres-et-ambitieux-c-est-la-sociologie-qui-le-prouve-27-05-2018-7738677.php
– Le Monde évoque la participation des étudiants aux ateliers alternatifs dans le cadre de la mobilisation à Paris 8 : https://www.lemonde.fr/campus/article/2018/04/24/avec-les-cours-et-ateliers-alternatifs-je-passe-plus-de-temps-a-la-fac-qu-avant_5289742_4401467.html?
D’autres « 4 pages » des années précédentes :
– Les résultats de l’enquête 2016-2017 sur le rapport au politique et au militantisme des étudiants
– Les travaux des étudiants de Paris 10 sur le rapport au politique et au militantisme (2016-2017).
– Les travaux des étudiants de Paris 8 et de Paris 10 sur le le logement et l’habitat (2012-2013).
– Les travaux des étudiants de Paris 8 et de Paris 10 sur le le logement et l’habitat (2013-2014).