Charles Soulié, maître de conférences au département de sociologie de l’université Paris VIII a publié le 7 octobre 2006 un article dans le quotidien L’Humanité.
Y a-t-il trop d’étudiants à l’université ? « Un problème d’ordre idéologique »
par Charles Soulié, sociologue.
(L’humanité, 7 octobre 2006.
À question simple, réponse complexe et nuancée… Et de fait l’enseigne-ment supérieur et l’université répondent à des missions très différentes. Car en plus de préparer les étudiants à un emploi, l’université leur offre une formation générale, les initie à la recherche, contribue à l’élévation générale du niveau des connaissances et par là à la formation de citoyens plus éclairés. Ou comme il est écrit sur le fronton de l’université de Freiburg in Breisgau : « La vérité vous rendra libre. »
À la pluralité des fonctions remplies par l’université s’ajoute le fait que, loin de former un univers homogène, l’université est un microcosme hautement différencié et hiérarchisé, chaque faculté, discipline connaissant des évolutions démographiques différentes. Ainsi aujourd’hui les sciences connaissent une baisse de leurs effectifs (visible aussi dans toute l’Europe) aboutissant in fine à la désertification de certains laboratoires scientifiques. D’où l’idée de réinventer les IPES, c’est-à-dire un système permettant de salarier les étudiants se destinant à une carrière scientifique. Cette désaffection vis-à-vis des sciences pose notamment le problème de l’articulation entre enseignement secondaire et supérieur et donc de l’orientation des étudiants. En effet, ne recueille-t-on pas alors un des effets de la sélection par les mathématiques dans l’enseignement secondaire ?
L’idée qu’il y ait trop d’étudiants en médecine, ou dans les grandes écoles est peu répandue, voire même franchement cocasse ! Il en est de même pour le droit ou les sciences économiques et de gestion, qui sont rarement critiqués sur ce point. Pourtant, ces quinze dernières années, les effectifs étudiants ont beaucoup plus augmenté en économie gestion, qu’en sciences, droit ou lettres, ce qui a favorisé sans doute la montée de « l’esprit gestionnaire » dans le monde social. En fait, ce qui pose problème à certains commentateurs, ce sont les disciplines de lettres et sciences humaines. Il s’agit donc d’un malthusianisme très sélectif. Or, et si l’on examine déjà les choses au niveau de la professionnalisation, leur bilan n’est pas si mauvais. En effet, posséder un diplôme, fût-il de lettres et sciences humaines favorise toujours celui qui veut accéder à un emploi. Par ailleurs, on sait que le débouché principal de ces disciplines est le secteur public, lequel devrait notablement augmenter ses recrutements à la faveur des départs massifs à la retraite.
En fait, on peut se demander si ici le problème n’est pas davantage d’ordre idéologique ou politique. En effet, on sait qu’à la faveur de la seconde massification, l’université française s’est un peu plus ouverte aux enfants d’origine populaire. Lesquels sont plus nombreux en lettres qu’en médecine, par exemple. Ainsi en 2002-2003, le taux d’étudiants dont les parents sont cadres supérieurs ou professions libérales passait de 49,6 % en classes préparatoires aux grandes écoles, à 45,1 % en médecine, 37,4 % en droit, 35,4 % en sciences, 29,9 % en économie et 27,4 % en lettres. Ce sont donc les disciplines de lettres et sciences humaines qui, avec les IUT, STS, ont le recrutement le plus populaire. De même, on note qu’elles ont été particulièrement en pointe lors de la mobilisation contre le CPE. Ce qui conduit alors à s’interroger sur les fondements politiques des critiques qui leur sont rituellement adressées. Et si l’on rappelle que pour leurs débouchés, ces disciplines sont principalement orientées vers le secteur public, on comprend mieux pourquoi elles sont régulièrement la cible des commentateurs d’inspiration libérale, qui généralement ne les ont pas fréquentées et ne les connaissent que par ouï-dire.
Article paru dans l’édition du 7 octobre 2006.