Nicolas Jounin, maître de conférence au département de sociologie de l’université Paris VIII, était interviewé dans L’Humanité le 30 septembre 2008 :
Dans la peau d’un ferrailleur : « Riche de trois années d’enquête, le livre de Nicolas Jounin décrit un travail harassant et une ségrégation ethnique très marquée, » écrit Fanny Doumayrou.
Sur les chantiers de gros oeuvre, jusqu’à 60 % des salariés sont « extérieurs » à l’entreprise donneuse d’ordres : soit intérimaires employés par elle, soit salariés d’une entreprise sous-traitante, eux-mêmes intérimaires en majorité. De quand date cette organisation ?
Nicolas Jounin. Cette gestion de la main-d’oeuvre se met en place lors de la crise des années soixante-dix. Les entreprises du bâtiment sont alors confrontées à une importante baisse de la demande. En parallèle, la loi de 1973 rend les licenciements plus difficiles en imposant une cause réelle et sérieuse, alors que les pratiques étaient très souples jusqu’alors. Et ce, au moment où les salariés s’accrochent plus à leur emploi, avec la montée du chômage. Les patrons du bâtiment réclament alors un contrat de chantier, qui permette de licencier à la fin des travaux, mais ils ne l’obtiendront qu’en 1978. Entre-temps, ils ont trouvé d’autres stratégies, grâce à la loi de 1975 qui stabilise le régime de la sous-traitance, et à celle de 1972 qui légalise l’intérim. Contraints de conserver les salariés qu’ils emploient, leur parade est d’embaucher de moins en moins les gens qu’ils font travailler. Depuis, sous-traitance et intérim se sont fortement développés. Aujourd’hui, les entreprises générales externalisent la moitié de leur activité en chiffre d’affaires vers des sous-traitants qui emploient jusqu’à 75 % d’intérimaires.