Stage de terrain à Dieppe

« Partir, c’est mourir un peu ? »
Une semaine d’immersion en terrain dieppois

Dans le contexte de la demi mineure de L3 « Pratique d’enquête », une vingtaine d’étudiants se sont mis dans la peau de sociologues pour « jouer le jeu du terrain ».
Accompagnés de trois enseignants-chercheurs, le stage de terrain nous a permis d’envisager la sociologie sous un jour nouveau : celui de la pratique. L’expérience de l’immersion a été riche en apprentissages, tant en termes humain (l’approche de nos interlocuteurs) que méthodologique (vérification des hypothèses, reformulation de notre problématique, etc.).

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Photo : Lylia Hadj Said, Le quai Henri IV, Dieppe.

Migrations et mobilités : partir, passer, visiter

Plusieurs étudiant-e-s ont enquêté sur les mobilités, qu’il s’agisse de celles des jeunes liées à leurs orientations scolaires et à l’absence d’une offre de formation diversifiée localement ou de celles générées par la proximité de l’Angleterre et la liaison transmanche ou encore le tourisme…

Orientations et mobilités des jeunes à Dieppe

Après s’être renseignés sur le terrain grâce à des outils statistiques et une revue de la presse locale, nous avions constaté avant même notre arrivée sur Dieppe que la ville connaissait un vieillissement de sa population. Pourtant des jeunes naissent à Dieppe et ses alentours. Grâce aux entretiens menés auprès des jeunes de deux lycées de Dieppe (l’un polyvalent, le second général), Julie a pu constater qu’une majorité d’élèves émet le souhait de quitter la ville pour poursuivre leurs études post-bac. Ces deux lycées, pourtant très proches géographiquement, semblent s’exclure mutuellement. Commence alors un travail de compréhension et d’analyse des différentes représentations des lycéen-ne-s…

Constantin qui s’intéresse à la mobilité des jeunes, a élaboré un questionnaire avec Julie, s’adressant aux jeunes dieppois-e-s sur leur volonté de quitter ou non la ville, en lien avec leurs vœux d’orientation. Aidé-e-s des autres étudiants participant au stage, ils ont fait passer 200 questionnaires pendant la « nuit de l’orientation » organisée par la Chambre du Commerce et de l’Industrie.

Visibilité ou invisibilité à la frontière : les enjeux de l’observation

Marion et Camille avaient pour objectif d’observer quels sont les espaces de visibilité du « fait clandestin » dans la ville de Dieppe, et de découvrir leurs multiples dynamiques. Elles se sont donc retrouvées, pendant une semaine, à promener leurs pieds mouillés et leurs oreilles aux alentours du ferry et de ses barbelés, du cabinet d’un dentiste à la capitainerie du port, de la mairie à la sous-préfecture, des associations caritatives aux squats de migrants, de bars en bars. Bon pied, bon œil, et bons cafés…

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Le prix de l’Angleterre ou l’Angleterre à tout prix ?

Restauration d’ailleurs au pays de la coquille Saint Jacques

Elisabed a interrogé le rôle des femmes patronnes non-autochtones dans la restauration de Dieppe. Comment sont-elles arrivées à faire marcher leur restaurant ? Comment articulent-elles vie familiale et vie professionnelle ? Quel est le rôle de la mairie pour ces femmes issues de l’immigration et comment la ville les a-t-elle accueillies ? Quelles sont les relations entre ces nouvelles venues et les restaurateurs dieppois? Comment sont-elles parvenues à attirer une clientèle aussi bien locale que touristique ? Comment elles se sont adaptées à la gastronomie dieppoise ?

Le tourisme à Dieppe : produits du terroir et mise en patrimoine.

Plusieurs étudiants ont choisi de travailler sur le tourisme. Myriam a enquêté sur les commerces de souvenirs, les produits du terroir. A Dieppe, se pose la problématique de la dépendance envers la saison estivale. Lylia a réalisé un état des lieux sur le tourisme hors saison, et les actions entreprises afin de rendre la ville attractive à tout moment de l’année.

L’enquête de Flora porte sur les images et représentations qui sont sollicitées dans la construction d’une identité et d’un patrimoine local. Sur le terrain, elle a orienté ses recherches sur les acteurs et les procédés de sélection pour comprendre en quoi l’identification et la patrimonialisation sont sources d’attraction. Elle a rencontré des acteurs qui travaillent dans le tourisme pour comprendre quelles caractéristiques naturelles ou culturelles sont mises en avant.

Elise a travaillé sur la randonnée et le paysage. Elle a rencontré des responsables liés à la randonnée (Communauté d’Agglomération Dieppe Martime, micro entreprise, Mairie..), pour tenter de comprendre comment le paysage maritime de la randonnée est utilisé et exploité à Dieppe. Le mauvais temps et la saison ont malheureusement empêché la rencontre de randonneurs.

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Randonnée, le samedi 1er février et il ne pleut pas !

Vivre ici,
vie associative, rénovation urbaine, patrimoine et mémoires collectives

« Sport pour tous », Education Populaire et politique culturelle

Surpris par la vitalité des associations dieppoises, des étudiants ont interrogé le monde associatif. Assad s’est intéressé aux tendances actuelles du football amateur dans les quartiers d’habitat social de la ville. Un football où l’important est d’abord l’ambiance et que tous puissent participer…

Rizlane a observé deux associations de majorettes. Peut-on dire des majorettes qu’elles sont des sportives comme les autres ? Chorégraphies, animations de défilés, parades, déplacements, cette pratique collective relève-t-elle de l’activité traditionnelle festive ou de la discipline sportive ascétique nécessitant concentration et entraînement? Un point commun entre le football et les majorettes ? Sans doute le goût de recevoir les autres en organisant des tournois ou des festivals et à cette occasion faire visiter sa ville, sa plage et son château. Le goût aussi des déplacements et des voyages collectifs avec les enfants des « quartiers ».

Autre pratique populaire, le hip-hop est le sujet d’investigation de Pierre Richard. Il s’agit dans ce travail de montrer comment les espaces culturels comme la Dieppe Scène Nationale (DSN), les maisons de jeunes et le conservatoire Camille Saint-Saëns contribuent à son institutionnalisation.

Rénovation urbaine, logement social et construction des mémoires collectives

Enfin un dernier groupe, plus sensibilisé aux problématiques de la sociologie urbaine et aux questions de logements, se sont orientés vers l’étude des quartiers du Puys (où nous résidions), du Pollet, du Val Druel et de Neuville-les-Dieppe.

A Dieppe, un tiers des logements sont sociaux. Deux quartiers d’habitat social sont traitées par la politique de la ville : le Val Druel et Neuville-les-Dieppe qui bénéficient des transformations du projet ANRU (Agence Nationale de Rénovation Urbaine). Christophe a travaillé plus spécifiquement sur Neuville, situé à moins d’une demi-heure à pied du gîte. Il a réalisé des entretiens avec une responsable du service social d’un bailleur social, la chargée de mission à la jeunesse, un gardien et une habitante du quartier d’habitat social de Neuville et un salarié d’une association de prévention…

Hassani a interviewé nos voisins immédiats sur l’histoire de leur quartier, le Puys où notre gîte était situé. Ancienne station balnéaire de la fin du XIXème siècle, le Puys est devenu un quartier pavillonnaire, avec de petits collectifs situés en bordure de plage. Tous ses interlocuteurs sont revenus sur le débarquement du 19 août 1942 de soldats canadiens. La plupart furent massacrés sur la plage de Puys. Le souvenir de la seconde guerre mondiale est aussi le point commun des entretiens réalisés par Yamina auprès de personnes âgées. Henriette qui au départ avait décidé de travailler sur les « ancrages matériels de la mémoire collective de Dieppe », mesurera à quel point l’histoire du débarquement du 19 août 1942 constitue un élément fondamental, traversant l’ensemble de l’espace urbain de la ville (des noms des rues, des monuments et des mémoriaux) et du travail de mémoire aux niveaux institutionnel et associatif de la ville.

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Mémorial – Place des canadiens

Pourtant, à côté de cette pièce majeure de la mémoire collective, il y a d’autres « ancrages matériels », où prend forme l’identité dieppoise, tels que le château de Dieppe, les églises Saint-Jacques et Saint-Rémy, mais aussi le Pont Colbert, sujet d’une controverse actuelle, en raison d’une modernisation discutée.

La mémoire collective est toujours un processus actif de construction sociale, ce que constateront aussi Noémie, Corinne et Romain à propos du quartier du Pollet. Ce quartier populaire a connu une forte activité dès le 19e siècle. Reconnu pour ses ports, ses commerces, ses bars, ses bals, son camping en bordure de jetée, il garde encore aujourd’hui une forte identité héritée du dynamisme de sa population ouvrière. Le passage des marins venus d’Angleterre, des Pays-Bas ou d’ailleurs apporte aussi une part d’exotisme.
Dans une ville touristique, il est intéressant de constater que le Pollet, qui possède un capital historique époustouflant, n’est pas mis en avant et fait fuir les investisseurs. Les étudiants ont donc cherché à savoir pourquoi tant de commerces ont mis la clé sous la porte, mais surtout comment, et de quoi vivent les artisans et les petits commerces de proximité du Pollet.

Les Polletais ne tombent pas d’accord sur l’origine du déclin mais une chose est sûre ; «désormais, le Pollet n’appartient plus au monde de la mer » dit-on chez les marins.

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Atelier du groupe folklorique « LES POLLETAIS » Photo : CM

Le déclin de l’activité commence avec les nouvelles normes européennes de la pêche selon certains ou la raréfaction des passages du transmanche voire la disparition du camping selon d’autres.
L’architecture, notamment l’existence d’habitations troglodytes (les gobes), les histoires, la figure du pêcheur polletais, les chants et récits populaires exercent encore une attractivité mais pour quelle population ? Peut-on parler des prémices d’une gentrification ? La politique de la ville développée dans ce quartier a–t-elle pour finalité d’enclencher un processus de gentrification au nom de la mixité sociale ou d’améliorer les conditions d’habitat de la population qui se paupérise ? La problématique du droit à la ville évoquée par le philosophe Henri Lefebvre s’applique t-elle au cas de la transformation du Pollet ?
Impossible en une semaine de répondre à l’ensemble de ces questions… Nous revenons en revanche avec une certitude, les dieppois sont accueillants et nous les en remercions.