Un documentaire commenté par Jean-François Laé, professeur de sociologie à l’université Paris 8
De la casserole à la prise de parole from CREMIS-PRAXCIT on Vimeo.
Etudiants, grève et casseroles
Je suis arrivé à Montréal le 23 avril pour un cours à faire en histoire, à l’UQAM, sur les archives personnelles et les récits de vie. C’est la grève des étudiants. Mon cours est reporté à la semaine suivante. La veille, le 22 avril, 200 000 manifestants étaient dans les rues. « Il faut faire attention quand on réveille un peuple endormi », avertit le politologue Eric Martin sur un ton ironique. La détermination des étudiants est solide. La semaine suivante, on reporte à nouveau d’une semaine les cours. Dans les rues le Carré rouge épinglé à la veste fait signe, comme le symbole de l’endettement des étudiants et de leur opposition au gouvernement. Je me demande si je reste ou si je rentre au bercail. De report en report, courant mai, j’hésite, fouiller des archives ici ou en France ?
Le 17 mai, le ton monte d’un cran : le gouvernement décide d’adopter une loi spéciale pour interdire les piquets de grève, afin de forcer le retour en classe. Interdiction de manifester à plus de 50 personnes. C’est l’étouffement. La loi interdit d’entraver l’accès aux cours et limite le droit de manifester en rendant illégaux les rassemblements ainsi que les piquets de grève à l’entrée des facs, passibles d’amende allant de 1 000 à 125 000 dollars. Cette fois je m’étrangle.
Invité par ailleurs par le Centre de recherche de Montréal sur les inégalités sociales, les discriminations et les pratiques alternatives de citoyenneté (CRÉMIS) de l’Université de Montréal, avec Robert Bastien, chercheur au centre de la santé publique, nous proposons en urgence de faire un documentaire sur le mouvement des casseroles qui démarre le 20 mai. En six semaines, nous parcourrons les 6 ou 7 manifestations nocturnes, et au petit matin nous essayons de retrouver les gens, ou d’autres, pour entendre « ce qu’ils en disent ». Deux fois sur trois, c’est raté. L’entretien est minable. Mais parfois ça marche.
Chacun y va de ses raisons et de son point de vue. Induite par l’adoption de la loi 78, l’accessibilité des gens est flagrant, les langues se délient. Nous allons ainsi de quartier en quartier, dans les parcs et les magasins, à domicile et dans un salon de coiffure, puis dans une entreprise de fabrication d’échafaudage. La parole circule.
De la casserole à la prise de parole : mai et juin 2012
Documentaire. Réalisation : Jean-François Laé et Robert Bastien. Montage : Anna Woch. Une production du Centre de recherche de Montréal sur les inégalités sociales, les discriminations et les pratiques alternatives de citoyenneté (CRÉMIS). 2012.