Marianne2.fr publie un article sur l’ouvrage de Nicolas Jounin, Chantier interdit au public, avec plusieurs extrait du livre :
Cette vie de chantier invisible pour le public
Bienvenue dans le monde des ouvriers du bâtiment. Vous savez, celui des chantiers, de la boue, du bruit des marteau-piqueurs, des défis techniques, de la force physique, du travail en équipe au grand air. Du racisme quotidien aussi, d’un déni total du droit du travail, de l’immobilité sociale.
C’est ce que révèle l’intéressante lecture de l’étude de Nicolas Jounin, maître de conférences en sociologie à l’Université Paris VIII, «Chantier interdit au public, enquête parmi les ouvriers du bâtiment».Noir = manoeuvre = «Mamadou»
Sa méthode de travail est simple : se faire embaucher, un an durant, sur différents chantiers de Paris et ses environs, et observer. Ce qu’en sociologie on appelle « observation participante » permet de rapporter de l’enquête bien plus que des chiffres, déjà éloquents (par exemple, 77% de ces travailleurs du bâtiment sont des intérimaires) : le point de vue d’un sociologue «embedded» sur la pénibilité du travail, la précarité des intérimaires et le peu de cas que les géants du bâtiment font de leur main d’œuvre.
Et aussi bien au cours des descriptions que des extraits d’entretiens menés auprès d’ouvriers, de chefs de chantiers, de responsables d’agences d’intérim, ou encore de cadres des entreprises de construction, le constat est saisissant.
On y apprend que les noirs sont des « Mamadous », qu’ils sont la plupart cantonnés aux travaux de manœuvres. Qu’ils ne peuvent pas espérer progresser en apprenant un métier qualifié, puisque rien n’est prévu pour leur apporter cette qualification. Puisqu’ils sont noirs, et donc manœuvres. CQFD.
On y apprend que tous les ouvriers du bâtiment ne se valent pas, et que les castes sont imperméables. Les noirs, les manœuvres donc, ne côtoient pas les maghrébins ferrailleurs, qui ne côtoient pas les coffreurs qualifiés, qui à la rigueur peuvent côtoyer les chefs, qui sont blancs, donc français (même s’ils sont portugais, d’ailleurs).Le droit du salarié n’est qu’un mot
On y apprend que les agences d’intérim sont les servants externalisés d’une demande de main d’œuvre à bas prix, corvéable à merci et très, très flexible, susceptible en fait d’être mise à la porte verbalement et dans l’heure. Et peu importent le code du travail, les contrats, l’intérim n’est qu’une organisation, très organisée d’ailleurs, de la précarité.
Les règles de sécurité, aussi, qui font bien rigoler les ouvriers soumis aux cadences infernales, sauf les jours de visite des inspecteurs, où chaque règle est respectée avec un soin religieux. Une fois n’est pas coutume.
Finalement, cette étude pourrait paraphraser Bourdieu, qui, voyant l’immense diversité de destin des jeunes, disait «La jeunesse n’est qu’un mot», sans réalité concrète et homogène. Ici, pourrait-on dire, «la réglementation du travail n’est qu’un mot». Ou bien : «Le droit du salarié n’est qu’un mot».
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