Nicolas Jounin dans Libération et à la radio

Le quotidien « Libération » interview aujourd’hui Nicolas Jounin, maître de conférences au département de sociologie de l’université Paris 8 :
Un sociologue clandestin dans le BTP :

Un sociologue clandestin dans le BTP
Nicolas Jounin s’est immergé dans le secteur du bâtiment et a pu observer les pratiques sur les chantiers.
Recueilli par CATHERINE COROLLER
QUOTIDIEN : vendredi 22 février 2008
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Nicolas Jounin est sociologue, maître de conférences en sociologie à l’université Paris-VIII et chercheur au laboratoire Urmis (Unité de recherches migrations et société). Pour sa thèse, il a travaillé entre 2001 et 2004 comme travailleur du bâtiment intérimaire sur plusieurs chantiers. Il y a rencontré des sans-papiers et a interrogé plusieurs responsables des ressources humaines sur les raisons du recours à ce type de main-d’œuvre. Son travail universitaire lui a fourni la base d’un livre intitulé Chantier interdit au public, enquête parmi les travailleurs du bâtiment (1), qui vient de paraître.

Pourquoi les entreprises du bâtiment ont-elles recours à de la main-d’œuvre en situation irrégulière ?

Parce qu’elles ne peuvent pas s’en passer. Les étrangers – en situation irrégulière ou non [certains ont des titres de séjour d’un an qui les rendent à peu près aussi vulnérables, ndlr] – occupent des postes dévalorisés, comme manœuvre ou ferrailleur. Les manœuvres sont plutôt originaires d’Afrique noire, les ferrailleurs du Maghreb. Ce sont des métiers très durs. Les étrangers acceptent des conditions de travail que d’autres refuseraient. Si ces métiers sont pénibles, ils sont plus rémunérateurs que le nettoyage ou la sécurité, autres secteurs dans lesquels on trouve des sans-papiers.

Jusqu’à quel point les entreprises du bâtiment savent-elles qu’elles emploient des sans-papiers ?

Elles le savent globalement, mais pas forcément individuellement. Il n’est pas sûr non plus qu’elles se fatiguent à repérer les étrangers en situation irrégulière sur les chantiers. D’autant qu’elles les recrutent par le biais d’agences d’intérim.

Ces dernières sont-elles au courant ?

Dans mon livre, je cite le cas d’une agence dont la responsable reconnaît employer ponctuellement des sans-papiers. Lors d’un entretien que j’ai eu avec elle, elle m’a affirmé que «sur 100 gus, il y en a au moins 30 qui ont des faux papiers». Je raconte une autre scène au cours de laquelle une commerciale de la même agence a dit à un sans-papiers : «Là, c’est trop flagrant. Ils [les papiers] ne sont pas roses, ils sont fuchsia ! Je ne vais pas te prendre avec des papiers pareils.» Sous-entendu : «Reviens avec des faux papiers mieux faits !»

Le gouvernement accentue la pression sur les entreprises pour les dissuader d’employer des sans-papiers. S’agit-il d’une posture de fermeté destinée à capter les votes de l’extrême droite ?

La pression sur les entreprises s’accentue. Je pense au décret d’avril 2007 en vertu duquel elles ne peuvent plus employer un étranger sans l’accord préalable de l’administration. Dans mon livre, un patron parle de «contrôles plus stricts» et de «lois qui vont rendre les patrons responsables de la véracité des papiers». Les entreprises cherchent désormais à remplacer les intérimaires par des travailleurs européens détachés. Quand j’ai quitté Bâtarmat’ [PME sous-traitante du ferraillage dont le nom a été changé, ndlr], en mars 2004, le système était rodé : le ferraillage était largement externalisé et confié à des intérimaires étrangers. Depuis 2005, Bâtarmat’ a recours à la sous-traitance internationale. L’entreprise a sous-traité des bouts de chantier, puis des chantiers entiers. Elle fait appel à deux sous-traitants polonais. Ce recours pourrait toutefois n’être pas légal, car l’une des deux entreprises avec lesquelles travaille Bâtarmat’ n’aurait aucune réalité en Pologne. Mais c’est plus difficile à vérifier que d’organiser un contrôle de police sur un chantier.

Les travailleurs sans papiers se voient parfois accuser de dumping social…

Le recours aux sans-papiers a permis aux entreprises de faire l’économie d’une réflexion sur le moyen de retenir et de fidéliser leurs salariés. Elles savent qu’elles finiront toujours par trouver des bras.

(1) La Découverte, 2008, 276 pp., 23 euros

Mercredi 27 février 2008 à 15h, l’émission de France Culture À plus d’un titre présentée par Jacques Munier accueille Nicolas Jounin, auteur de Chantier interdit au public et maître de conférences au département de sociologie de l’université Paris 8. [écouter l’émission en MP3]
Nicolas Jounin sera aussi l’invité de Patricia Martin dans le « Cinq Sept » de France Inter, le 1er mars 2008 à 6h20 du matin. [écouter la chronique en MP3]
Le magazine Politis a rendu compte du livre de Nicolas Jounin :

UNE ENQUÊTE BÉTON
PAR JEAN-BAPTISTE QUIOT
jeudi 21 février 2008 – Politis
Le sociologue Nicolas Jounin s’est immergé durant une année dans le monde du bâtiment en tant qu’ouvrier. « Chantier interdit au public » retrace cet itinéraire.
Comme si on y était ! Avec Chantier interdit au public, le lecteur plonge dans le parcours d’un ouvrier débutant dans le secteur du béton armé parisien, où la loi du marché est impitoyable. Mais si le livre est remarquable pour la peinture qu’il donne de cet univers, son objectif n’est pas de le représenter sur un mode réaliste.
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Enfin… Le 22 février 2008, une partie de la Revue de Presse de France Info était consacrée au travail de Nicolas Jounin :

8H20 : Un sociologue sur le terrain
Avec d’abord dans Libération l’étonnant parcours d’un sociologue…

Libération qui s’intéresse ce matin au dossier de l’immigration choisie… Les employeurs des sans-papiers peuvent demander leur régularisation dans le cadre de la nouvelle politique du gouvernement… Mardi sept cuisiniers ont été régularisés par ce biais, ce qui fait espérer aux syndicats des milliers d’autres cas. Pour Libération, l’occasion de publier ce portrait d’un sociologue qui a mis les mains dans le cambouis social. Nicolas Jounin s’est immergé dans le secteur du bâtiment… Il est sociologue, maître de conférences à Paris-8 et pour sa thèse, il a travaillé sur le terrain pendant 4 ans comme intérimaire sur plusieurs chantiers. Il en a tiré la matière du livre qu’il vient de publier. Il y raconte son expérience, les sans-papiers indispensables sur les chantiers pour les postes les plus durs, les Africains plutôt employés comme manoeuvres, les ferrailleurs qui viennent souvent du Maghreb. Les employeurs sont-ils au courant, et bien il a pu constater qu’évidemment ils le savent mais que bien souvent, ils choisissent de ne pas savoir, en allant même jusqu’à conseiller à tel ou tel de revenir avec des faux papiers mieux faits… pour éviter de se faire prendre trop facilement sur son chantier en cas de contrôle…

Vous pouvez écouter la revue de presse (MP3).