Les Archives personnelles, ouvrage rédigé par Philippe Artières et Jean-François Laé, chez Armand-Colin, coll. U. est disponible en librairie depuis le 6 octobre 2011 :
D’abord, l’impudeur. L’obligation de bafouer toutes les règles de la discrétion : fouiller dans les papiers personnels, ouvrir le sac à main, décacheter et lire du courrier qui ne m’était pas adressé. L. Flem, Comment j’ai vide la maison de mes parents, Seuil, 2004. Nous opposons traditionnellement quatre figures d’archives : celle qui, avec ses petits papiers de gestion et les dossiers de chaque membre de la maisonnée, relève de l’individu dans sa vie domestique qui apprend à vivre, en toute pratique, avec des petits mots en épluchures ; celle de la correspondance entre deux êtres qui, comme un destin, traverserait solitairement le temps par des sentiments uniques sur une ile déserte, avec ses sentiments originaires qui crèvent le magma de la société ; celle des espaces du travail qui, avec ses documents professionnels bien établis, retranscrit les gestes du métier dans une main courante et sous la contrainte mille fois répétée du contexte d’autorité ; celle enfin, massive, qui relève du monde de l’administration, codée et surplombée par le point de vue de l’Etat, et qui ne serait que de simples doublures des injonctions juridiques, d’autant plus lorsque la figure de l’illettré redouble la domination du prince (…)
Les sentiments seraient lisibles dans la première série, les intérêts stratégiques dans la seconde. Le travail d’écriture serait habité par des lieux, ou plutôt, la fabrique des lieux pétrirait des écritures. Il en découle des normes courantes d’expressions: les écritures personnelles versus les écritures administratives, les écritures de soi versus les écritures de métiers, les écritures privées versus les écritures publiques avec chacune sa loi de la série et de la répétition. Les unes sur une île seraient d’introspection, es autres sur la montagne rocailleuse seraient de raisons sociales. Parce qu’une histoire culturelle des écritures de soi surplombe la question, elle rend aveugle un ensemble de jeux d’écriture en prise avec le social, produit du social et nécessaire à son fonctionnement, qui rassemble une grande diversité d’archives que nous nous nous proposons d’analyser. Avec ces questions, que fait le scripteur en écrivant ce qu’il écrit et quels sont les destinataires implicites de chacune de ces archives ? Que dit-il et que fait-il lorsqu’il écrit ; que cherche t-il a faire en écrivant pour lui et pour autrui, pour opérer quoi et se conduire comment ? À travers quelle contexture les auteurs se disent, s’exposent, s’engagent, se regardent en train de faire ou de penser faire? En quoi ces écrits marquent les relations et les sentiments, le temps et l’action présents; avec quel code et sur quel régime d’intensité ? Un autre point de vue pour saisir le social en acte.