Claire Lévy-Vroelant interviewée dans Le Monde

Logo Le Monde point frDans Le Monde daté du 4 novembre 2007, Claire Lévy-Vroelant, professeure au département de sociologie de l’université Paris 8, est interviewée par Emmanuelle Chevallereau :

Claire Lévy-Vroelant, sociologue (Paris-VIII, CNRS)
« De tremplin, l’hôtel est devenu une nasse, un lieu de relégation »

LE MONDE | 03.11.07 | 13h43
Que pensez-vous de l’explosion des dépenses de l’Etat en nuitées d’hôtel ?
Le scandale n’est pas dans l’augmentation de la dépense supportée par les contribuables, mais dans l’aggravation de l’urgence sociale. Les millions d’euros consacrés à l’hébergement à l’hôtel sont le révélateur de la crise du logement abordable pour les classes populaires. A défaut de logements, on héberge. C’est un symptôme des dysfonctionnements du système. Les hôtels meublés sont devenus, à certains égards, une excroissance pathologique du parc social. Ce n’est pas une raison pour jeter l’opprobre sur un secteur doté d’une véritable fonction sociale, qui mériterait même d’être élargie.

Quelles populations vivent à l’hôtel ?
Une minorité, en augmentation, sont des familles avec enfants. Pour elles, l’accueil à l’hôtel est un contresens absolu. Mais 70 % sont des hommes, la plupart travailleurs, chômeurs ou retraités isolés, on l’oublie souvent. Pour eux, l’hôtel peut être tout à fait adapté, de même que pour les personnes en rupture momentanée, par exemple les sortants de prison.

Les hôtels sont-ils encore un tremplin vers un logement durable ?

Dans les années 1920, à Paris, 11 % de la population vivait à l’hôtel. Pour la plupart, venus de province, il s’agissait simplement d’une étape vers une installation dans leurs meubles. Mais le système s’est grippé, faute de logements pour les classes populaires. De tremplin, l’hôtel est devenu une nasse, car il est très difficile d’en sortir. L’hôtel est un lieu de relégation pour certains, notamment les familles africaines qui ont beaucoup de mal à se loger.

Quelles pourraient être les solutions pour régler cette situation qui a un coût financier et social élevé ?
Il faut reloger ces familles, mais en les écoutant, leur trouver un habitat qui convienne réellement à leurs conditions de vie (travail de nuit, famille nombreuse…). Il faut aussi rénover, voire augmenter le parc de foyers existants, où vivent encore de nombreux travailleurs isolés et vieillissants, offrir des places en maison de retraite à des prix abordables, ouvrir de nouvelles places en centre d’accueil pour demandeurs d’asile, et cesser de fermer des lits de long séjour dans les hôpitaux.

Quel regard portez-vous sur l’action menée par les familles mal logées ?

Le droit au logement opposable est entré dans les textes mais, dans la réalité, des gens sont privés de logement. Le DAL, par ses actions, brise l’illusion selon laquelle il suffirait de prendre place dans la file d’attente des demandeurs de logement social pour obtenir satisfaction. Cette action peut apparaître comme une volonté de couper la file d’attente et risquer le discrédit dans l’opinion. Mais l’idée est de gagner la bataille en sortant de l’invisibilité. Puisque la file d’attente ne fonctionne pas, et que le bricolage au cas par cas est aléatoire, le DAL prend le parti de sortir ces familles de l’ombre. D’autres mouvements menés sur des espaces publics (un gymnase à Cachan ou le canal Saint-Martin) relèvent de cette même logique.

Claire Lévy-Vroelant a écrit, avec Alain Faure, Une chambre en ville. Hôtels meublés et garnis à Paris (1860-1990) (Créaphis, 2007).
Propos recueillis par Emmanuelle Chevallereau
Article paru dans l’édition du 04.11.07