Barbara Casciarri, anthropologue au département de sociologie de l’Université Paris 8, est actuellement responsable de l’antenne soudanaise du CEDEJ. Elle était récemment interviewée par l’AFP :
Boom or doom? Oil bonanza strains Sudan social fabric (par J.M. Mojon) :
Observers argue that many of the conflicts in Sudan — whether raging in Darfur, smouldering in the East or brewing in the north — are fueled by economic marginalisation and the struggle for resources.
« Seen at the macro-economic level, there is undeniable growth. But the story these numbers don’t tell is the social cost of liberalisation for most Sudanese, » says Barbara Casciarri, an anthropologist who heads the French research centre CEDEJ in Khartoum.
« If you scratch underneath the usual religious-ethnic label of the conflict, what you have in Darfur is the competition for access to resources, » she argues.
Mohammed Kabaj, a veteran economist, also says the repeated failure to give the country’s various regions equal education, health and development opportunities has been the main cause of instability.
(lien vers l’article en anglais)
En français :
L’économie soudanaise croît sans profiter à tous
Par Par Jean-Marc MOJON
lun 12 mar, 10h02
KHARTOUM (AFP) – L’économie soudanaise, dopée par le pétrole, attire des investissements étrangers et génère de la croissance sans toutefois profiter à tous, au risque d’attiser les conflits qui agitent le pays.
Khartoum, la capitale, qui n’a pas beaucoup changé depuis la colonisation britannique, est en train de se transformer avec un hôtel futuriste, des bâtiments modernes, des cafés et des centres commerciaux.
« J’ai vu un type en costume au volant d’un Humvee », une voiture tout-terrain américaine coûteuse, s’étonne Paul Kowk, un conducteur de rickshaw. « Où est-ce qu’il a eu l’argent ? ».
« Je parie qu’il vient du pétrole », poursuit ce jeune homme qui vit dans la ceinture pauvre de Khartoum et originaire du sud, qu’il a fui comme des millions d’autres en raison du conflit qui a longtemps ensanglanté sa région.
Le gouvernement table sur une croissance à deux chiffres en 2007 et les indicateurs économiques sont au vert, le pays profitant des revenus du pétrole.
Khartoum voit en outre s’ériger sur le Nil « l’oeuf de Kadhafi », nom donné à un hôtel en béton et en verre, de forme ovale, financé par le dirigeant libyen Mouammar Kadhafi. En février, la ville s’est dotée d’un véritable cinq étoiles, Rotana al-Salam, un établissement hôtelier de standard international.
Loin des conflits dans certaines régions du plus vaste pays d’Afrique, Khartoum vit au rythme des affaires. La ville devient une sorte d’Eldorado pour hommes d’affaires et attire la main-d’oeuvre de pays voisins.
« J’ai travaillé en Arabie saoudite et au Liban, mais l’argent n’a jamais été aussi facile qu’ici », s’extasie Fouda Abdel Monem, un ingénieur du bâtiment employé sur un chantier au nord de Khartoum.
« Le pays est sur la bonne voie. Il a besoin de tout et il suffit de venir et de ramasser les contrats », affirme-t-il.
En dépit des sanctions américaines, l’investissement étranger a atteint en 2006 quelque 2,3 milliards de dollars, venant essentiellement d’Asie, assoiffée de pétrole.
Mais le miracle économique ne profite pas à tous.
Dans certains quartiers, la présence d’employés du pétrole et de personnel de l’ONU a provoqué une explosion des prix de l’immobilier comme des services.
« L’Etat nous lâche. Même l’électricité a été privatisée. Certains sont devenus trop riches, ce qui choque le reste de la population », constate Amina, une enseignante universitaire à mi-temps qui gagne 300 dollars par mois.
Les spécialistes estiment que les conflits ouverts ou latents, comme au Darfour, dans l’ouest, sont le résultat de la marginalisation économique.
« Au niveau macro-économique, il y a une croissance, on ne peut pas le nier. Mais ce que cela ne dit pas, ce sont les coûts sociaux que cette libéralisation a entraînés pour la plupart des Soudanais », relève Barbara Casciarri, une anthropologue qui dirige le centre de recherche français CEDEJ à Khartoum.
Pour elle, le conflit du Darfour se nourrit de « la compétition pour l’accès aux ressources » dans ce vaste pays difficile à gouverner du centre.
Mohammed Kabaj, un économiste, estime que les échecs répétés à donner aux régions des structures éducatives et de santé et la possibilité de se développer sont à l’origine de l’instabilité.
« En 1997, pas moins de 96% de la population du Darfour vivait sous le seuil de la pauvreté. J’y étais et j’ai dit au gouvernement que la guerre allait y éclater. La situation était la même dans l’est du pays », dit-il.
« Les trois quarts de la population sont coupés du développement et l’agriculture doit être la locomotive du progrès », estime-t-il.
« Le régime pense actuellement moderniser son armée, mais si les prix du pétrole chutent, ce sera la catastrophe. Modernisons d’abord la société avant de penser à la protéger », plaide M. Kabaj.