Famille pour tous ?

Coline Cardi, maîtresse de conférence au département de sociologie de l’Université Paris 8, a coordonné Catherine Achin, Armelle Andro, Virginie Descoutures, Noé Le Blanc, Juliette Rennes et Olivier Roueff le numéro de la revue Mouvements qui vient d’être publié : « Famille pour tous ? »

En 2013, l’ouverture des droits au mariage et à l’adoption aux couples de personnes de même sexe en France a ébranlé l’hétérosexisme, pilier de l’institution familiale. Enjeu de luttes, la loi est venue légitimer des pratiques, et reconnaître en droit la possibilité pour les homosexuel.le.s de participer à l’ordinaire familial. Reste toutefois à concrétiser au quotidien cette reconnaissance légale pour mettre fin aux discriminations encore persistantes.
Plus largement, ce déplacement des normes aurait pu augurer d’une poursuite de la démocratisation sexuelle, orientée vers la légitimation d’autres arrangements amoureux, érotiques, éducatifs, procréatifs, résidentiels. (…)
De fait, cette famille institutionnalisée reste le lieu majeur de la production des rapports de pouvoir, malgré les modifications juridiques récentes appuyées sur des référentiels égalitaires. Les évolutions du cadre légal concernant la parentalité, le droit patrimonial, l’adoption ou la filiation n’entravent guère la production continue d’un ordre social fortement hiérarchisé entre les sexes, les sexualités, les classes, les générations et les nationalités. Le travail de dévoilement du rôle de la famille dans la production de la hiérarchie sociale est plus que jamais nécessaire.
Une série d’articles de ce dossier montre ainsi combien la famille nucléaire bourgeoise patriarcale blanche reste une norme puissante et multiforme de gouvernement, qui s’impose au tribunal, qui structure les thérapies psychiques, qui définit les politiques de logement, qui masque les violences domestiques.
Ces analyses invitent à prolonger la critique de l’institution familiale, telle qu’amorcée dans les années 1970, en ouvrant de nouveaux chantiers de transformation sociale. Dans cette perspective d’émancipation, l’objectif n’est pas tant d’en finir avec la famille, pour reprendre un mot d’ordre de 1968, ou d’opposer au modèle conjugal bourgeois un contre modèle dont on connaîtrait déjà les tenants et aboutissants. Il s’agit plutôt de remettre à l’agenda l’exploration du champ des possibles.

Mouvements — n° 82, 2015/2 — Famille pour tous ?
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