Daniel Terrolle, maître de conférences au département de sociologie, anthropologue, était interviewé par Le Monde (29 novembre 2007, supplément « associations », p.6) :
« J’ai acquis la conviction que les SDF, en grande majorité, ne se réinsèrent pas »
Daniel Terrolle, en tant que chercheur, membre du laboratoire d’anthropologie urbaine du CNRS, vous êtes très critique à l’égard des dispositifs d’insertion des sans-abri, intransigeant envers les associations caritatives et humanitaires. Pourquoi ?
Nous n’avons aucun moyen d’évaluer l’efficacité des politiques sociales et il n’existe aucune statistique officielle, ni sur la réinsertion ni sur la mort des sans-domicile-fixe (SDF). J’ai acquis la conviction, à travers mes travaux, que les SDF ne se réinsèrent en grande majorité pas. Ils ne font que quitter une association pour une autre. J’estime à 1 % le nombre de SDF qui rebondissent dans l’économie englobante et à 5 % maximum ceux qui se réinsèrent dans une économie protégée de type caritatif.
Que deviennent les 94 % restants ? Ils disparaissent de notre vue. J’ai tendance à penser qu’en majorité, ils meurent. Une mort que personne ne veut voir quantifier même si elle est accompagnée.
L’Institut national de la statistique (Insee) traîne les pieds pour établir un item SDF dans sa nomenclature, permettant à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) de pouvoir quantifier ces décès. L’Inspection générale des affaires sociales (IGAS), pourtant payée sur des fonds publics, ne produit aucun rapport sur le devenir véritable des sans-abri. De leur côté, les observatoires de la pauvreté sont curieusement mutiques.
En fait, il n’existe aucune volonté politique d’évaluer ce que deviennent les sans-abri. On nous entretient dans l’illusion que tout va bien. La société dissimule l’abjection de cette situation. Tant qu’on ne voudra pas affronter la réalité, tant qu’on pratiquera une philanthropie héritée du XIXe siècle, tant que l’Etat se délestera de ses missions auprès de la société civile, on ne pourra pas améliorer la condition des sans-abri. On financera au mieux un marché de la pauvreté dans lequel prospèrent beaucoup d’associations.
Il faut rompre avec cette logique humanitaire tout comme l’association Droit au logement (DAL) l’a fait, en se battant pour le respect des droits des sans-abri, pour qu’ils aient un toit et des droits.
Propos recueillis par A. Mi
Daniel Terrolle est l’auteur, avec Patrick Gaboriau de SDF, critique du prêt à penser (Toulouse, Privat, 2007). Pour en savoir plus sur Daniel Terrolle, consultez sa page, avec une bibliographie indicative