Jean-Claude Combessie, 1937-2010

Jean-Claude Combessie est décédé la semaine dernière.
 

Né en 1937 et issu d’un milieu d’enseignant (son père est professeur de physique à Sarlat et sa mère institutrice), Jean-Claude Combessie est élève en classes préparatoires à Bordeaux, où il rencontre notamment Michel Pialoux. En 1959, il intègre l’École normale supérieure de la rue d’Ulm et fait la connaissance de Jean-Claude Chamboredon. Et c’est à l’occasion d’une conférence de Pierre Bourdieu à l’ENS sur l’Algérie, qu’il rencontre ce dernier. En 1962, il obtient l’agrégation de lettres classiques, fait son service militaire, puis enseigne pendant trois ans dans l’enseignement secondaire.
Il entre alors en sociologie « pour le terrain, pour le plaisir de sortir des livres » et devient, en 1966, assistant, puis maître-assistant, en sociologie à la Sorbonne. De 1969 à 1971, il est à la Casa Velasquez de Madrid, ce qui lui donne l’occasion de découvrir l’Espagne, pays dont il tombera amoureux, ainsi que le travail interdisciplinaire. En 1971, il revient à Paris pour enseigner à Paris V puis à Dauphine et siéger un temps au Comité consultatif des universités (ancêtre du CNU). En 1980, il soutient un Doctorat d’État sous la direction de Georges Balandier qui donnera lieu à un livre intitulé Au sud de Despenaperros : pour une économie politique du travail (éd de la MSH, 1989). En 1981, il obtient un poste de professeur de sociologie à Amiens, alors jeune université en pleine expansion et dans laquelle il reste jusqu’en 1989, date à laquelle il rejoint celle de Paris 8 Vincennes-St Denis, où il enseigne jusqu’en 2002, année où il prend sa retraite. Dans la même période (de 1984 à 1997), il est codirecteur du Centre de sociologie de l’éducation et de la culture et sera aussi, un temps, responsable de l’IRESCO. À Paris 8, il sera aussi directeur du département de sociologie et membre du conseil scientifique.

En dehors de l’ouvrage cité précédemment, Jean-Claude Combessie est notamment l’auteur de :
« Éducation et valeurs de classe dans la sociologie américaine », Revue française de sociologie, X, 1969.
« Marché du travail et dynamique des valeurs. La cueillette du coton en Andalousie », Actes de la recherche en sciences sociales, n°41, 1982.
« L’évolution comparée des inégalités : problèmes statistiques », Revue française de sociologie, XXV, (2), 1984.
« Paradoxe des fonctions de concentration de C. Gini », Revue française de sociologie, XXVI, (4), 1985.
La Méthode en sociologie, La Découverte, 1996.

Biographie plus longue, rédigée par Francine Muel-Dreyfus et Afranio Garcia :

Né en 1937 à Sarlat (en Dordogne), d’un père professeur de physique et d’une mère institutrice, Jean-Claude Combessie, après avoir été élève en khâgne au lycée M. Montaigne à Bordeaux, où il est le condisciple de Michel Pialoux, entre à l’ENS d’Ulm en 1959 et obtient l’agrégation de Lettres classiques en 1962. A l’ENS, il a Jean-Claude Chamboredon et Olgierd Lewandowski comme condisciples, et rencontre Jean-Claude Passeron et Pierre Bourdieu. La présentation dans ce cadre des travaux menés par Pierre Bourdieu et Abdelmalek Sayad en Algérie lui fait découvrir tout l’intérêt des approches sociologiques. Après son mariage avec une camarade de promotion, Christine Savy, dont il aura trois enfants, Philippe, Anne et Florence, il enseigne trois ans dans le secondaire à Périgueux et Marseille.

En 1964-65, le petit groupe de condisciples de l’ENS se retrouve à Paris et organise les travaux dirigés de l’enseignement de sociologie à la Sorbonne, auprès de Raymond Aron, expérience qui s’est inscrite dans le travail d’élaboration du Métier de Sociologue (Mouton, 1968). Centrés sur l’épistémologie, ces TD faisaient une large place à la discussion des techniques d’enquête -statistiques et observations approfondies de type ethnographique- telles qu’elles avaient été utilisées dans Travail et travailleurs en Algérie (Mouton, 1963) .En 1966, Jean-Claude Combessie est nommé assistant de sociologie à la Sorbonne (aujourd’hui Paris 5), et y enseigne comme maître-assistant puis maître de conférences jusqu’en 1981.

En 1969, il publie un important article sur la sociologie de l’éducation américaine dans la Revue Française de Sociologie. De 1969 à 1971, il est membre de la section scientifique de la Casa de Velasquez de Madrid et engage une longue enquête de terrain sur la paysannerie en Andalousie. Il en fera une thèse pour le doctorat d’Etat, soutenue en 1980 sous la direction de Georges Balandier, puis un ouvrage, paru en 1989, Au sud de Despeñaperros. Pour une économie politique du travail. Associant une approche ethnographique et une enquête par questionnaire auprès d’un large échantillon de chefs de famille, cette recherche sur des zones agricoles irriguées de la région de Séville est une contribution majeure à l’une des questions centrales de la sociologie économique contemporaine : « L’économie des faire-valoir excède en tout cas le marché, qui en est un produit, et dont les lois, les prix, les équilibres et même les affrontements sont indissociables d’une économie générale des oppositions, des solidarités et des divisions du travail familial, de classe, de village, de religion, de club. (…) Il y a une économie politique des rapports communautaires. Ce cas permet de voir comment l’économie d’un groupe commande l’économie des modes de valoir en son sein ».

En 1981, il est nommé professeur de sociologie à l’université de Picardie où il dirigera le CURSA (Centre universitaire de recherches sociologiques d’Amiens). De 1984 à 1996, il co-dirige à Paris, avec Monique de Saint Martin, le Centre de sociologie de l’éducation et de la culture (CNRS/EHESS) fédéré avec le Centre de sociologie européenne dirigé par Pierre Bourdieu au Collège de France.

En 1989, il est nommé professeur de sociologie et responsable de la formation doctorale « Modes de vie, Politiques sociales » à l’université Paris 8, poste qu’il occupera jusqu’en 2002 en même temps qu’il assurera la responsabilité de la direction de l’IRESCO (Institut de recherche sur les sociétés contemporaines, F.R.10 du CNRS). En 2005, il est nommé professeur émérite de l’Université Paris 8.

Ses travaux se sont développés selon deux axes principaux : la méthodologie et la critique sociologique des constructions statistiques. En 1996, il fait paraître La Méthode en sociologie, portant sur les techniques d’enquête, le traitement des données, la construction des échantillons, les classements et les liaisons statistiques. Il introduit ainsi son propos : « un objectif spécifique de la sociologie en tant que science n’est-il pas d’appliquer à ses propres productions un des postulats qui la fondent, le sociocentrisme des représentations, même savantes ? La méthode en sociologie se voit alors investie d’une double et redoutable mission : objectiver la recherche ‘ à la manière ‘ des sciences expérimentales et objectiver les représentations inévitablement sociocentrées de ses propres grilles de lecture ».

Débouché provisoire d’une réflexion théorique continue sur la notion d’égalité/inégalité des chances, fruit de longues nuits blanches pour dominer les procédures statistiques qu’il inventorie et explore, l’article de 1984, « L’évolution comparée des inégalités », constitue un pavé dans la mare qui a ouvert un débat fourni et durable à la fois dans le milieu des statisticiens et celui des sociologues : un nombre considérable d’articles se sont inscrits dans sa contestation ou dans son prolongement. Il ouvre aussi la poursuite de ses propres réflexions pour clarifier davantage le point mis en évidence et ses implications, dont témoigne tant son ouvrage sur la méthode, notamment dans son chapitre 7, que la reprise récapitulative de ce problème dans un article de 2004.

Sa réflexion sur la méthode était tout l’opposé d’une quête d’orthodoxie. Encadrant une équipe franco-brésilienne qui menait une enquête dans le Nordeste du Brésil en 1997, sur les ouvriers agricoles descendants d’esclaves, il avait pris plaisir à tirer les leçons du bonheur paradoxal éprouvé par les participants à enfreindre les règles de la méthode et à « découvrir » à quelles conditions « infraction vaut connaissance ».

Jean-Claude Combessie a dirigé de très nombreuses maîtrises, DEA et thèses à l’Université de Picardie, à l’EHESS et à l’Université Paris 8, s’impliquant fortement depuis les enquêtes de terrain jusqu’à l’élaboration des hypothèses et la mise en forme définitive. Une fois leur diplôme passé, les étudiants devenus jeunes chercheurs pouvaient compter sur lui pour les aider dans leur insertion professionnelle. Une de ses collègues enseignante au séminaire de maîtrise et DEA, qu’il avait monté avec Trinh Van Tao à l’Université de Picardie, se souvient de l’inépuisable patience de Jean-Claude face à des étudiants peu armés culturellement, souvent maladroits dans leurs formulations mais tellement désireux d’apprendre et surtout avides d’accéder à travers leur objet de recherche à un usage autoanalytique de la sociologie. Ce rapport d’urgence vitale à notre savoir, Jean-Claude était de ceux qui le comprenaient.

Comme l’a formulé un autre de ses amis témoignant de sa disponibilité sans cesse renouvelée, « si sa porte était toujours ouverte à tous, son dévouement acquis à tous, s’il n’a cessé de se laisser mettre dans des situations où il paraissait à contre-emploi, en porte à faux, créateur ou animateur d’institutions diverses mais improbables ou ingérables, littéraire enseignant les statistiques ou chercheur créant un diplôme professionnel de gestion, responsable de contrats multiples, encadrant les recherches les plus diverses, ce n’était certes pas par goût du pouvoir ni des honneurs ».

A travers les responsabilités qu’il a exercées dans de nombreuses institutions de recherches, formations doctorales et programmes scientifiques, Jean-Claude Combessie a contribué d’une façon discrète mais décisive au dynamisme de la recherche collective, y compris par l’usage des techniques informatiques, comme dans le cadre du programme Marie Curie de la CE. Il a également été à l’origine de nombreuses initiatives de coopération scientifique internationale depuis les années 1990, notamment en partenariat avec des institutions brésiliennes (Museu Nacional, PUC-SP, Universidade da Paraiba), colombienne (Universidad Nacional à Bogota), argentine (Universidad de Cordoba), bolivienne (Universidad de La Cordillera, La Paz) et mexicaine (Universidad de Puebla). Tous ces échanges et ces collaborations, et aussi son soutien aux jeunes chercheurs espagnols et latino-américains, ont créé de forts liens d’amitiés et de reconnaissance. L’un d’eux, à l’annonce de sa disparition, s’exprime ainsi sur Internet : « Hoy es un dia importante, porque mi hijo Manuel va, por primera vez a la garderia. Cadiz esta nublado y al dejar a Manuel he pensado en Jean-Claude. Su bella sonrisa de sabio estoico, tiernamente burlona, siempre acogedora, torneada con cada matiz (Jean-Claude pensaba a traves de su sonrisa, o quisas con su sonriza) me seguira acompañando. Como decian los arnaquistas espanoles : que la tierra te sea leve ».

Références bibliographiques
« Éducation et valeurs de classe dans la sociologie américaine », Revue française de sociologie, X, n°10 /11, 1969.
« Marché du travail et dynamique des valeurs. La cueillette du coton en Andalousie », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 41, 1982.
« L’évolution comparée des inégalités : problèmes statistiques », Revue française de sociologie, XXV, n° 2, 1984.
« Paradoxe des fonctions de concentration de C. Gini », Revue française de sociologie, XXVI, n° 4, 1985.
Au sud de Despeñaperros. Pour une économie politique du travail, Paris, éditions de la Maison des Sciences de l’Homme,1989.
La méthode en sociologie, Paris, La Découverte (coll. « Repères »), 1996 (5e éd. 2007).
« D’une infraction heureuse aux règles de la méthode », Cahiers du Brésil Contemporain, n° 43/44, 2001.
« Trente ans de comparaison des inégalités des chances : quand la méthode retenue conditionne la conclusion », Courrier des statistiques, n° 112, 2004.