Natalie, étudiante autrichienne en sociologie, était en 2008 en séjour Erasmus à Paris 8. Dans un entretien avec Claire Lévy-Vroelant, elle décrit le mouvement social étudiant actuel en Autriche.
Le mouvement ici est très intéressant, car comme le dit Natalie, à la différence du mouvement de l’an dernier en France, les cours sont maintenus en même temps qu’une mobilisation dans un lieu stratégique, le plus grand amphi de l’université. Ainsi la mobilisation et l’attention de l’opinion, pour l’instant, se maintiennent.
Un grand merci à Natalie d’avoir pris le temps de répondre à mes questions et de nous envoyer ces photos,
Vienne, Claire Lévy-Vroelant, le 11 novembre 2009
« Depuis le 22 octobre, les étudiant(e)s de l’université de Vienne occupent le plus grand amphi de l’Autriche, l’Audimax. Ce mouvement de contestation touche désormais presque toutes les villes universitaires de l’Autriche. Maintenant les grèves et manifestations s’étendent à d’autres pays européens ».
Quels sont les motifs de ce mouvement ?
« Ces dernières années, la situation des universités autrichiennes s’est dégradée continuellement. Il manque de places dans les cursus, les frais d’études ont été établis, l’accès aux universités est de plus en plus restrictif, la démocratie dans les universités diminue et les intérêts économiques prédominent le système éducatif. Tous ces inconvénients sont aussi conséquence du sous-financement public des universités et du processus de Bologne.
En effet, tous les pays d’Europe sont touchés par ces problèmes. Les motifs de cette lutte des étudiant-e-s autrichien-ne-s ressemblent aux différentes luttes des autres pays européens.
Le but est aussi d’attirer l’attention et mettre l’enseignement supérieur à l’ordre du jour.
Beaucoup espèrent que le mouvement sera une impulsion pour repenser de fond en comble le système universitaire et éducatif. »
Est-il seulement viennois?
« C’est à Vienne, que la protestation a débuté. Les premiers à protester ont été les étudiant-e-s de l’Université des Beaux-arts à Vienne qui se sont opposés au processus de Bologne. Ils ont vite été rejoints par les étudiant-e-s de l’université de Vienne qui ont décidé de squatter l’Audi max. Ce qui a commencé comme une manifestation s’est développé comme un mouvement de contestation qui s’est diffusé dans toutes les autres universités en Autriche.
Maintenant les protestations et occupations s’étendent en Allemagne, Grande-Bretagne et en Suisse. Cela montre que les problèmes de Vienne sont des problèmes globaux et qu’il fallait juste un premier foyer pour que la protestation se répande comme une traînée de poudre.
Vu les circonstances le symbole de ce mouvement montre une université en feu avec le slogan: „Uni brennt“ – l’uni(versité) brûle. »
Quels sont les départements touchés et pourquoi?
« La rentrée universitaire 2009 est marquée par une augmentation de près de 15% des étudiant-e-s. Surtout certaines disciplines comme la médecine, la psychologie, la communication, la gestion, les sciences de l’éducation et la biologie manquent de capacités d’accueil. Pour limiter le nombre d’étudiants, notamment l’afflux des Allemands, le Ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, Johannes Hahn, a voulu réintroduire des frais de scolarité et restreindre l’accès aux universités.
Mais cela ne résout ni le problème de sous-financement du système universitaire ni les autres inconvénients de l’enseignement supérieur.
Les enseignant-e-s se sont aussi solidarisé-e-s et participent activement aux protestations.
Ils sont touchés par la précarisation des emplois dans les universités. Le catalogue de revendications, qui a été élaboré par les membres du mouvement, réclame entre autre un quota de 50% de femmes dans tous les domaines du personnel universitaire. »
Quelles sont les formes du mouvement?
« Premièrement il faut dire qu’en Autriche faire grève est tout à fait anormal, pas comme en France !
C’était pendant mon année Erasmus que j’ai connu pour la première fois dans ma vie une grève d’étudiant-e-s. À vrai dire, je ne croyais pas qu’un tel mouvement puisse être possible en Autriche, puisque nous n’avons pas du tout cette „culture de la grève“. C’est pourquoi la forme de ce mouvement est la chose la plus fascinante.
Les médias, les syndicats, les politiciens, tous sont surpris et étonnés par les étudian-e-s qui ont été accusés d’être une „génération non-critique“ d’être incapable de mettre un tel mouvement sur pied.
Ce mouvement s’est formé spontanément, il n’y a pas une organisation qui l’a provoqué, même pas l’union d’étudiant-e-s était impliquée. La mobilisation fonctionne à l’aide des nouveaux médias de Social Networking comme Facebook et Twitter. Les étudiant(e)s ont aussi crées un propre site : www.unsereuni.at (avec des articles en français !) où on peut suivre les événements en direct par vidéo ainsi que toutes les actions qui sont documentées.
Le mouvement s’organise à la base d’une démocratie directe participative. Les étudiant-e-s ont développé une vraie infrastructure de presque 100 groupes de travail, qui s’occupent de tout: de la presse, la cuisine, du nettoyage, des finances, etc. Ils organisent des ateliers où les étudiant-e-s discutent des alternatives en termes de politique universitaire et sociale avec des journalistes, des écrivains et des artistes invités.
Les étudiant-e-s montrent aussi leur mécontentement en dehors de l’espace universitaire.
Ils sont déjà organisés plusieurs grandes manifestations, dont une était la plus grande manifestation universitaire de l’histoire autrichienne avec 50.000 participants.
Mais à la différence des grèves en France les universités ne sont pas bloquées. Les cours continuent, même ceux dont les salles sont occupées ont lieu dans les autres endroits non occupés. Mais, quand-même, enfin il se passe quelque chose dans les universités autrichiennes! »
Natalie Nestorowicz
Université de Vienne
Département de Sociologie
Ancienne Erasmus à Paris 8 (2008)
Note : Les photos proviennent de http://www.flickr.com/photos/unibrennt/ et
http://www.flickr.com/photos/christoph_liebentritt/
Pour en savoir plus : sur les échanges Erasmus : ?page_id=140, ou sur le mouvement social universitaire autrichien www.unsereuni.at…